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et sans murmurer, comme tout ordre que je donne ! Vous devez faire votre devoir sans écouter la voix de votre cœur. Et maintenant, allez vers vos nouvelles obligations ! »

Et quand la guerre, voulue par lui, eut éclaté, Guillaume II lança cette proclamation à l’armée de l’Est : « Je suis l’instrument du Très-Haut. Je suis son glaive, je suis son représentant. Malheur et mort à ceux qui ne croient pas à ma mission ! Malheur et mort aux lâches ! Qu’ils périssent, tous les ennemis du peuple allemand ! Dieu exige leur destruction. Dieu qui, par ma bouche, vous commande d’exécuter sa volonté [1]! »

Après les sommations de leur Empereur, qu’on ne s’étonne donc pas de voir les soldats allemands, sur un simple geste de leurs officiers, soumis eux-mêmes aux volontés impériales, incendier et ravager des villes et des villages, bombarder des cathédrales et des églises, violer des femmes et des jeunes filles, piller les trésors les plus sacrés, égorger des milliers d’innocens et, ces tâches ignobles une fois accomplies, rentrer dans leurs rangs, comme s’ils n’avaient rien fait que de normal et de naturel !... Ainsi pliés à une obéissance absolue allant jusqu’au crime, ils constituent une force inébranlable, — en apparence tout au moins, — pour l’Empire et ses institutions. Voilà le militarisme allemand, bien différent de la force armée des nations humaines et civilisatrices ! Aussi, quand on attaqua, et avec raison, une conception si barbare, quand on en dénonça l’horreur et l’atrocité, les quatre-vingt-treize Intellectuels allemands se récrièrent et dirent : « Il n’est pas vrai que la lutte contre ce que l’on appelle notre militarisme ne soit pas dirigée contre notre Kultur, comme le prétendent nos hypocrites ennemis. Sans notre militarisme, notre civilisation serait anéantit depuis longtemps. C’est pour la protéger que le militarisme est né dans notre pays, exposé comme nul autre à des invasions qui se sont renouvelées de siècle en siècle. L’armée allemande et le peuple allemand ne font qu’un. C’est dans ce

  1. Le prince de Bülow, qui cite Gœthe à tout propos, ne sera pas surpris que je relève ici une observation du célèbre poète allemand sur la trop grande facilita avec laquelle ses concitoyens se servaient du nom et de la personne sacrée de Dieu : » Les Allemands, disait-il, agissent avec Dieu, l’Etre incompréhensible, comme s’il n’était plus que leur égal. S’ils étaient vraiment pénétrés de sa grandeur, ils se tairaient et le respect les empêcherait même de prononcer son nom. » Il est vrai que. le professeur Lasson, ou Lazarussohn, a dit que « Dieu le Père était réservé uniquement à l’usage de Sa Majesté. »