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sentiment que fraternisent aujourd’hui 70 millions d’Allemands, sans distinction de Kultur, de classe, ni de parti. » Mais ce que ne disent pas ces Intellectuels, et ce qui est cependant au fond de leur pensée, c’est que ce militarisme est fait à la fois pour repousser ou attaquer per fas et nefas l’ennemi et pour combattre la Révolution qui, par l’extension du socialisme de plus en plus croissant, menacerait la vieille Allemagne. Ce qui le prouve encore, c’est la récente mobilisation civile qui, faisant de tous les citoyens de seize à soixante ans autant de soldats ou d’instrumens d’État, cherche à empêcher les troubles, les émeutes et les révoltes que les horreurs et les misères d’une trop longue guerre pourraient fatalement déchainer.

Le prince de Bülow s’extasie naturellement sur la formation sans pareille de l’armée allemande. « Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume Ier, ne fut pas seulement l’intraitable sergent de parades de Potsdam ; il fut aussi le créateur dans notre armée de cet esprit qui a conduit les drapeaux prussiens et les drapeaux allemands de Mollwitz et de Hohenfriedberg à Tannenberg et à Verdun. « Il faut convenir que ce dernier nom qui représente bien, il est vrai, l’acharnement de l’ennemi, mais aussi sa défaite, est plutôt là pour nous plaire. Au moment où il apparaissait sous la plume de M. de Bülow, il n’avait pas encore toute l’auréole dont il s’est depuis si justement entouré. Et l’empereur Guillaume II a eu beau décerner le titre de général au kronprinz pour son acharnement inutile à s’emparer de la glorieuse citadelle, il n’a fait que souligner sa défaite.

L’ancien chancelier affirme que de ses rudes et braves hobereaux, Frédéric-Guillaume Ier tira l’admirable corps des officiers prussiens, « de nos officiers, dit-il, avec leur austère conception du devoir et de l’honneur, leur sentiment de solidarité qui les lie à leurs subordonnés, leur esprit de camaraderie, leur belle fierté militaire et leur fidèle attachement à la monarchie. » Le Roi, qui portait l’habit de soldat, était le premier officier de l’armée ; les officiers, qui portaient l’habit du Roi, formaient le premier corps dans l’Etat, le corps auquel le Roi lui-même appartenait. On ne peut s’étonner que M. de Bülow exalte le corps des officiers prussiens, mais quand on se rappelle les violences, les cruautés, les ignominies ordonnées ou exécutées par ces officiers allemands, comme l’assassinat de miss Cavell, on se demande si vraiment il lui était permis de