Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A tout prendre d’ailleurs, la Grande-Bretagne était pour nous avant la guerre une bien meilleure cliente que l’Allemagne.

Ce coup d’œil rapide n’a rien, on le voit, de désobligeant pour l’honneur de notre librairie nationale. La situation aurait-elle pu être meilleure ? Certes. Pouvons-nous être lus davantage à l’étranger ? La pensée française, ennoblie par toutes nos souffrances, sanctifiée par le sang versé et, au contraire de l’allemande, pure de tout esprit de domination, la pensée française, désintéressée et discrète, qui s’offre sans s’imposer et ne se déguise pas sous l’hypocrisie du masque, peut-elle voler d’un vol plus ample, toujours plus loin ? On n’en peut douter. À condition toutefois que nous fassions un effort qui, dans les circonstances actuelles, se présente comme un devoir.


Cet effort, il nous faut le donner puissamment, à plein collier. Dans quel sens ? C’est ce qu’ont cherché tous ceux qui sont accourus au Congrès du Livre. Et d’abord il a été nécessaire de réagir contre une opinion toute faite, de nous libérer d’une obsession qui nous paralysait. Aux éditeurs et aux libraires de France, depuis quelque cinquante ans, on n’a cessé de vanter Leipzig et son organisation colossale. Leipzig, c’était le modèle que nous devions à tout prix imiter. En dehors de la copie absolue de Leipzig, rien à tenter. En vérité, l’Allemagne avait-elle trouvé la formule unique et valant pour tous les peuples ? Voyons donc Leipzig à l’œuvre. Demandons-nous si ses méthodes, admirablement appropriées, nous le reconnaissons, aux conditions du commerce allemand, à ses besoins, aux goûts et aux idées d’outre-Rhin, peuvent répondre aux conditions, qui sont celles de la librairie française, aux besoins, aux goûts, aux idées de chez nous.

Avant toute chose, il convient de tenir compte de la situation où se trouve géographiquement la librairie allemande. À l’inverse de ce qui existe en France, où, à de rares exceptions près, tous les éditeurs sont installés à Paris, qui est devenu en fait la capitale du livre français, ceux de l’Allemagne sont éparpillés à travers l’Empire tout entier. Pour ne citer que les grandes villes, Berlin, Stuttgart, Münich, Tubingen, Gotha ont comme Leipzig leurs importantes maisons d’édition. Le libraire détaillant, quand il lui faut s’approvisionner de nouveautés ou satisfaire aux commandes,