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à l’esprit de nul d’entre nous de renoncer à un principe qui est noble et nous est cher, de crier à l’œuvre d’un philosophe anglais, d’un romancier russe, d’un poète italien : « Payez, ou vous n’entrerez pas. Passez à la douane, ou nous ne vous lirons pas. » Mais qu’un livre, imprimé en français à l’étranger, que la production d’un écrivain français éditée par un éditeur étranger puisse avoir accès chez nous, sans acquitter un centime, alors que le papier, le carton, la toile, toutes les matières premières qui le composent et sont nécessaires à un éditeur français pour établir un volume semblable, sont frappés de droits à l’entrée, voilà, n’est-il pas vrai, quelque chose d’inconcevable. Une fois de plus, notre générosité et notre désintéressement se retournent contre nous et nous sommes seuls à payer les frais ! Une maison d’édition française désireuse, à l’endroit d’une collection à bon marché de nos grands classiques, d’entamer la lutte avec un concurrent étranger, ne fut-elle pas amenée récemment par cette invraisemblable anomalie de notre législation douanière, à faire fabriquer les volumes dans le pays même de son rival, l’obligation de payer les droits d’entrée sur le papier et la toile la mettant dans l’impossibilité de produire en France à prix égal ? Etonnons-nous maintenant de l’extraordinaire succès qui a accueilli chez nous ces collections de petits volumes reliés, offerts à des prix très bas et défiant toute concurrence... française.

Profitant de cet état de choses, si dommageable aux éditeurs français, l’Allemagne nous expédiait ses ouvrages de droit international, ses publications d’hygiène pratique et de médecine, ses géographies, ses Baedeker en français, enfin sa pernicieuse production de romans pour la jeunesse, ses livraisons de Nick Carter et de Buffalo Bill, tirés dans notre langue à Dresde à un nombre formidable d’exemplaires. Est-il possible que nous soyons plus longtemps dupes et que, devant leurs concurrens, mieux outillés et disposant d’une plus riche main-d’œuvre, nos éditeurs et nos imprimeurs gardent les bras liés ? Le Congrès du Livre n’a pas estimé que le livre français dût mourir plutôt qu’un principe et, la franchise en douane étant, bien entendu, maintenue entière pour les œuvres imprimées en langue étrangère, il a réclamé à juste titre que des droits protecteurs, sagement mesurés et simplement compensateurs, sur les livres imprimés en français et les publications de caractère international