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on quittait l’épaisseur des bois qui se terminent à Folembray, on apercevait devant soi, s’étageant au sommet d’un éperon montagneux projeté de gauche sur le val, une haute masse composée de tours et de courtines, de volumes cylindriques et de plans verticaux, elle-même dominée par une masse plus haute dont chaque tournant du chemin faisait varier l’apparence, tantôt trapue comme un monstre accroupi sur le cap, tantôt fusant vers le ciel comme une colonne sans fin.

C’était le château de Coucy, son enceinte et son donjon de cinquante-cinq mètres, planté dans un promontoire exhaussé de plus de soixante. L’ensemble, abordé par cette face, offrait un décor symétrique. Deux tours, liées par un secteur de rempart, se dessinaient dans un aplomb qui stabilisait le premier plan. Sous des angles égaux, deux murailles s’en écartaient, qui rejoignaient plus en arrière deux autres tours profilées. Mais le regard, par une obsession grandissante, s’attachait à quelque chose de plus harcelant encore. A mesure qu’on avançait, l’émerveillement s’accentuait. La rondeur isolée du donjon, vue d’en bas, entre la quadruple préparation des tours, avec sa paroi lisse, l’anneau singulier de supports qui lui cerclait le front, avec la couronne de son dernier étage percé d’arcatures à jour, montait par-dessus toutes les lignes, vision centrale et obsédante, montait en absorbant tout le reste, montait vers le soleil ou le nuage.

Ainsi Coucy se révélait-il au passant rapide et fasciné. Mais pour qui stationnait aux alentours, ou bien se trouvait par habitude connaître les sentiers du pays, Coucy réservait encore d’autres spectacles de choix.

En poussant plus à l’Est, de l’autre côté d’un ravin sinueux orienté sur l’Ailette, la hauteur de Moyembrie offrait un étonnant observatoire. De là se découvrait, d’un bout à l’autre de l’éperon, non seulement le donjon, non seulement le château, mais sa place d’armes extérieure, mais aussi la petite ville forte, son cadre conservé, ses remparts et ses portes. Le panorama se développait tout en harmonieuses gradations. La cité, ses maisons basses, ses toits violets, gris ou bruns, son église, son beffroi, sa porte de Soissons vers le Sud, ouverte sur une rampe rapide, sa porte de Laon, bastille à elle seule, donnant sur l’isthme étroit par qui tout l’éperon se rattache au plateau, cette suite marquée de profils et de couleurs se distribuait heureusement.