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la « baille, » l’enceinte d’approche, l’élément de défense classique et nécessaire que tout château présentait devant lui, comme en lui-même il englobait un donjon.

Errer dans la baille, au hasard et sans but, voilà trois printemps à peine, était un rare plaisir.

Lieu sauvage et séduisant, cerné de demi-ruines, qui tenait à la fois de la pâture, du verger, de la citadelle, de la lande et de la futaie. Des groupes de gazon, des carrés de légumes, des arbres à fruits, des buissons bas, des ormes et des frênes tout en flèche et en pointe, meublaient ce large espace où le temps et la nature avaient accordé toutes choses. Un vague sentier de ronde, au midi, courait entre les pans de mur, les giroflées et les arbustes. La fortification s’accrochait à la pente, abrupte vers l’Ailette. Çà et là, une embrasure, élargie en porte, permettait de sortir de la salle basse d’une tour flanquante et de prospecter la côte, entre les parcelles de culture étagées en perron. Derrière le rideau des ormes et des frênes, on se rapprochait des parages de la grande défense qui garnissait la fin de l’éperon. La suture du rempart propre de la place d’armes au rempart propre du château, vers le point où s’ouvrait la poterne des champs, était en cet endroit spécialement captivante. C’était la zone que dominait le donjon. Les arbres, dans cet angle où se confondaient les droites et les courbes, les défenses creuses et les défenses hautes, semblaient aspirés par la tour. Presque toujours, au-dessus d’eux, de sa couronne à leur cime, tourbillonnait un vol bruissant de corneilles et de freux.

De la place d’armes, on poussait dans le château même. Contre lui, celle-ci ne se défendait pas, comme elle se gardait contre la ville. Mais tout château, logiquement, se fortifiait contre sa place d’armes. En ce point, obstacle renouvelé, se présentait une tranchée gigantesque, non moins sèche que le fossé de tout à l’heure, mais cette fois close aux deux bouts par l’enveloppe continue du rempart. L’entrée franchie sur la droite, on se trouvait dans la cour, étroite et farouche, devant le spectacle intérieur encore inaperçu.

Ici, tout le sens profond de la forteresse apparaissait avec éclat. La suppression même des bâtimens d’habitation jadis appuyés par le dedans aux élémens de défense ne faisait que le rendre plus saisissant. Un quadrilatère de remparts énormes épousait toute l’assiette du promontoire. Aux angles s’appuyaient