Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les quatre tours aperçues en perspective de la route de Chauny. Et le donjon s’élançait, réduit suprême, écrasant tout de son volume et de sa hauteur.

Les logis disparus, en leur temps, avaient contenu de belles salles, de nobles étendues sans cloisons, plafonnées de poutres peintes, décorées de nuances vives, garnies de cheminées géantes où les Preuses et les Preux s’alignaient debout et côte à côte sur la saillie du manteau. Par de grands arcs restés debout, par des escaliers rompus, par le dédale des passages souterrains et des galeries de contremine, sur les pas d’un maître de la science combinée des textes et des pierres, on cheminait, allant, venant, descendant vers l’ombre, sondant les creux aveugles, palpant une rainure de herse, et remontant vers le jour. Du niveau qui marquait la salle des Preuses, à l’extrémité du cap, entre les deux tours extrêmes, par les baies découpées dans les embrasures anciennes, apparaissait au loin toute la campagne heureuse.

Le château reconnu, le donjon tyrannisait le regard. Toutes choses environnantes ne semblaient faites que pour lui.

Il se dressait hors du fossé, de la tranchée gigantesque qui séparait le château de la place d’armes, et qui s’incurvait autour de lui. Partant également du fossé qu’elle divisait en deux, une défense spéciale le défendait encore : la muraille énorme et concentrique. Dans le vocabulaire d’alors, une telle muraille s’appelait chemise. Cette lingerie de pierre de la tour géante de Coucy mesura cinq mètres d’épaisseur et vingt mètres de haut.

Avec deux sections de courtine qui venaient se souder de part et d’autre à l’enveloppe continue du rempart extérieur, et qui descendaient chacune à sa rencontre, par le talus, vers le fond, elle composait, sur la moitié de sa courbe, la clôture propre du château, semi-circulaire entre deux lignes droites. Mais, vers le donjon, l’entaille du fossé, la muraille de la chemise, pénétraient dans le château, se creusaient et s’érigeaient dans la cour, lui interdisant ainsi tout contact, en faisant une île cylindrique de roche au milieu d’un lac de pierre. La masse, pour tout accès possible à sa base, présentait une poterne à laquelle conduisait un ponceau. Par un chenal de sept mètres, poussé à travers l’épaisseur de la paroi, on atteignait le sol de la salle qui avait occupé tout le rez-de-chaussée.