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Alors, du bas vers la hauteur, jusqu’au toit de fortune, la vue montait libre. Un grand cylindre creux, immense, démesuré, se développait en altitude. Du centre de la salle, éclairée par trois fenêtres défensives, munie d’une cheminée profonde, creusée d’un puits de soixante mètres, on distinguait un périmètre intérieur à douze pans, douze arcades en tiers-point s’enfonçant dans la muraille, douze branches d’ogive partant des massifs pleins pour supporter une voûte jadis innervée comme une église ronde de Templiers. Les traces de deux étages, sur même plan, se prononçaient nettement, leurs arcades chaque fois plus accentuées, l’élancement des voûtes se devinant plus architectural encore. Dans la tour vide, tombant de divers angles par les archères, des jeux de lumière et d’ombre s’insinuaient avec les heures.

Vrillé dans le mur, l’escalier, depuis le couloir de la poterne, tournait jusqu’au faite. Après avoir stationné à chaque étage, on débouchait sur la plate-forme. De ce niveau sortaient les consoles en saillie qui de loin semblaient baguer la cime. C’étaient les supports de pierre, les « corbeaux, » soutiens fixes et audacieux qui permettaient à cette date, selon le procédé transitoire en usage à l’époque où s’élevait le donjon, de mieux asseoir en surplomb, à cette hauteur, pour le temps d’un siège, les « hourds » de charpente dont l’assemblage établissait, pourvu de mâchicoulis et d’archères, le chemin de ronde occasionnel et démontable, alors seul connu des bâtisseurs de remparts.

Puis, de la plate-forme atteinte, partait encore le couronnement, le grand portique circulaire et ajouré, timbre héraldique du donjon. Une dernière spire de l’escalier à vis arrivait à fleur de la crête. Douze pieds de largeur permettaient de s’y tenir. De cet ultime sommet, le spectateur solitaire, par un beau jour de France, foulant cette piste vertigineuse, pouvait se dire que nul pays du globe ne possédait pareille œuvre.


Ceux qui avaient créé à leur usage et à leur taille une semblable demeure, château seigneurial et privé, pour y vivre, s’y défendre, et le transmettre, quels étaient-ils, de quelle race et de quelle trempe ?

Viollet-le-Duc, en un passage frappant, a cru pouvoir