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reconnaître, dans le donjon de Coucy, au point de vue de l’accord de l’homme et du cadre, des caractères spéciaux qui ne se révèlent pas ailleurs. « Dans cette forteresse, dit-il, tout est colossal, tout est bâti sur une échelle plus grande que nature. Tout ce qui tient à l’usage habituel y est conçu dans une proportion supérieure à celle admise aujourd’hui. Les marches des escaliers, les allèges des créneaux, les appuis, les bancs même, semblent faits pour des hommes d’une taille au- dessus de l’ordinaire. On dirait que le constructeur avait voulu créer une impression de force extra-humaine. Il semble que les habitans de cette demeure féodale devaient appartenir à une race de géans. »

Ce caractère à part éclatait tout entier dans leur orgueilleuse devise, où transparaît la passion d’indépendance qui gonflait le cœur d’un féodal, maître de cette tour unique, leur devise que chacun sait : « Roi ne suis, — ne prince ne duc ne comte aussi, — je suis le sire de Coucy. »

Ils provenaient, comme lignage, de la maison de Boves, en Amiénois, dont la branche cadette, par filiation directe, se perpétue de nos jours dans la maison de Caix. Enguerrand, fils aîné d’un seigneur de Boves dont on connaît le père, s’était installé à Coucy, à la fin du onzième siècle. Les archevêques de Reims, qui possédaient le village du vallon et le terroir d’alentour, depuis un temps aussi reculé qu’incertain, et dont l’un avait élevé sur l’éperon désert encore, avant l’an mil, une forteresse disputée à ses successeurs par de rudes adversaires laïques, paraissent avoir quitté le tout, abdiquant leurs droits, en des circonstances demeurées inconnues.

Les sires de Coucy réalisent en leur temps un mot célèbre : ils vivent dangereusement. La comtesse de Namur, Sibylle, femme du comte Godefroi, se trouva être désirable. Le premier Enguerrand l’enlève. Il part pour la grande Croisade avec Thomas son fils. Tous deux combattent côte à côte. Un jour, comme les Sarrasins avaient pénétré par surprise dans la position chrétienne, le sire de Coucy, son étendard étant hors de portée, coupe de ses mains son manteau d’écarlate bordé de vair. Il le lacère par bandes, fixe ces bandes à une lance, et charge en jetant son cri, sous les couleurs alternantes de ce fanion improvisé. En souvenir du fait d’armes, son écu portera désormais six tranches horizontales, six fasces, trois de vair ;