Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 39.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’auteur a adoptée lui a permis d’éviter l’encombrement de personnages qu’il y a dans Guerre et Paix, pour ne citer que ce grand roman historique. C’est celle de ses œuvres dont il faut parler avant tout si l’on veut le faire comprendre, parce que c’est celle qui le révèle le mieux. Elle est la plus intéressante pour des étrangers parce qu’elle est de toutes la plus fortement colorée, et c’est aussi celle qui a eu en Suède le plus de retentissement.

Le Roi fait l’unité de ces trente-cinq récits en deux volumes. Un mouvement continu anime le drame qui va de la naissance de Charles XII, venu au monde avec du sang dans les mains, à sa mort sur le rempart de Fredrikshall. Ces courtes histoires ne présentent rien de lyrique dans le tour de la narration ; aucun développement, aucune réflexion, aucune émotion apparente de la part de celui qui raconte. Un bref état de fait. C’est en Russie, avant Pultava. Les Suédois surpris par l’hiver sont entrés dans Hadiatch.


Les rues retentissaient de cris de souffrance et, parfois, sur les marches d’un escalier, on trouvait des doigts, des pieds et des jambes coupées. Les voitures étaient serrées les unes contre les autres et formaient une longue file, de la porte de la ville à la place du marché... Empêtrés dans leur harnachement et tournés contre le vent, leurs rênes blanches de gelée, les chevaux étaient là depuis plusieurs jours sans nourriture. Personne n’en prenait soin et quelques-uns de leurs cochers, morts de froid, demeuraient sur leurs sièges, les mains enfoncées dans leurs manches. Certains de ces fourgons ressemblaient à des cercueils ; par les lucarnes des bâches, on voyait des visages sombres qui lisaient penchés sur des livres de prières ou qui, délirant de fièvre, regardaient avec envie les maisons voisines. Des milliers de malheureux imploraient à voix basse ou même sans prononcer de paroles la miséricorde divine. Le long des murs de la ville, on avait rangé les soldats morts ; un grand nombre d’entre eux étaient couverts d’habits rouges de cosaques qui cachaient leurs uniformes en loques, et la plupart avaient les pieds enveloppés de peaux. Des ramiers sauvages et des moineaux, si engourdis par le froid qu’on pouvait les prendre avec la main, se posaient sur la tête et sur les épaules des cadavres, secouant les ailes lorsque les aumôniers passaient pour porter la communion aux mourans.


La concision est souvent telle dans les Carolins que les Suédois eux-mêmes y trouvent de l’obscurité, encore que les allusions à des faits de l’histoire de Suède qui leur sont bien connus ne soient pas pour eux une énigme et que tant de noms des compagnons de Charles XII, les Lewenhaupt, les