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Oxenstjerne, les Wrangel, les Sparre, les Liljehöök, les Nat och Dag, les mettent dans l’atmosphère des choses quotidiennes, puisque ce sont des noms de familles qui existent encore et dont ils rencontrent chaque jour les représentans.

Charles XII apparaît d’abord comme le jeune guerrier vainqueur qui débarque en Danemark ; Dieu lui a confié la mission de châtier les menteurs et les traîtres et, parmi ceux-là, en premier lieu, les souverains qui ont attaqué son pays parce qu’il était dans les mains d’un enfant de quatorze ans. On le voit ensuite en Pologne couché sous sa tente et dormant d’un profond sommeil ; sur son lit se vautrent ses chiens Turk et Snushane ; pour souper, son valet de chambre lui a apporté deux biscuits et de la neige fondue. On le réveille pour lui raconter la défense victorieuse d’une poignée de Suédois contre un parti de Polonais ; ce récit l’enchante comme un enfant qui entendrait un conte de fées. Vainqueur, il ne tire aucun profit de ses succès ; il fait descendre les rois de leurs trônes, les remplace par d’autres ; il paie les frais du couronnement de Stanislas Leczinski et fournit jusqu’à l’argent que le nouveau souverain distribue au peuple. Les Suédois restent toujours aussi pauvres.


Dans sa témérité, cent fois il s’expose à la mort. Devant Pultava, on avait creusé des tranchées ; deux des pieux qui les fermaient avaient été renversés. Le roi s’arrêta là, derrière une pelote à feu dont les flammes découvraient l’ennemi. Le petit prince (un de ses parens) monta sur un des pieux et se tint immobile, les bras collés au corps. Un caporal, Martin le prédicateur, monta sur l’autre ; les deux sentinelles se tenaient devant leur roi tandis que les Russes dirigeaient le feu de leurs canons et de leurs mousquets sur cette scène singulière. On eût dit que des verges et des fouets sifflaient dans l’air, que des ouragans mugissaient. Le tonnerre et les éclairs se succédaient, le sol tremblait comme un cheval effrayé, les morceaux de bois et les pierres volaient. Le Roi est là ! Il va être tué ! criaient les soldats et ils se précipitaient en avant. La lueur des flammes éclairait la Majesté des Excellences et des généraux, le camarade des soldats, le coureur des grands chemins... Il avait épuisé la coupe des aventures de guerre, et il fallait que la boisson fût de plus en plus pimentée pour qu’il y trouvât du goût. Parfois il parlait de gouverner de vastes États, mais des siens il ne songeait qu’à tirer chaque jour des centaines de trabans. Le vent de la gelée d’automne avait soufflé ; il s’endurcissait. Son Dieu était devenu le Dieu redoutable de la Bible, le Zebaot vengeur dont il entendait les commandemens en son âme sans avoir besoin de prier. Dans son insouciance de la vie et des souffrances des autres, il montrait une légèreté froide et rayonnante. L’inquiétude avait posé sa griffe sur son esprit. Son visage était amaigri, consumé par la fièvre et