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l’état de tous les prisonniers. Le ministre, l’Excellence Piper, ne veut pas les quitter ; il refuse d’acheter sa liberté en payant une rançon. De sa fenêtre il voit partir ceux qu’on échange ; il en entend d’autres que l’on fait travailler à construire la ville, et il se dit : Ce sont là mes frères. La Dumma Svenska, la stupide Suédoise, esclave dans le harem du sultan, n’est pas de toutes ces physionomies la moins intéressante. M. de Heidenstam a incarné en elle le caractère suédois ; elle a reçu ce nom à la fois pour sa maladresse à danser et pour la conscience avec laquelle elle s’acquitte de la tâche qu’on lui a confiée, celle de prendre soin des perroquets.

Le peuple qui est resté en Suède égale en sublimité celui qui se bat ou celui qui est captif. Ce sont, à la table du conseil, les ministres qui murmurent contre les continuelles demandes d’argent et qui, recevant un ordre du Roi, lui envoient jusqu’au dernier écu des caisses de l’Etat. Ce sont les paysans dalécarliens qui viennent de déclarer qu’ils en ont assez de la guerre, des impôts et des levées d’hommes ; ils ont pris leurs mousquets pour tirer sur le bailli ; mais lorsqu’on annonce que le Roi est prisonnier ils abandonnent leurs maisons et leurs champs pour aller le délivrer. Ce sont les femmes en deuil d’un père et d’un mari qui voient chez elles la faim, la peste, et qui font encore partir leur dernier fils pour l’armée. C’est le pasteur de Marstrand, une ile de la côte suédoise, dont les Danois viennent de s’emparer. En présence des envahisseurs, dans l’église, il appelle la bénédiction du ciel sur la Suède, à laquelle il promet une éternelle fidélité ; sa prière finie, il tend les mains pour qu’on les enchaîne.


Quand Verner de Heidenstam choisit sainte Brigitte pour héroïne du roman qu’il écrivit après les Carolins, il était inspiré en partie par les souvenirs de son enfance, mais surtout par son admiration pour la volonté humaine lorsqu’elle domine tous les sentimens qui pourraient l’amoindrir. La pieuse dame est petite, encore fraîche et rose, quoiqu’elle ait déjà de grands enfans au commencement du Pèlerinage de sainte Brigitte ; elle est douce et l’empire qu’elle exerce est d’autant plus singulier qu’il est accompagné d’une tendresse infinie. Elle a forcé son mari à entrer dans un couvent, elle arrache sa fille à son