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lu et relu, » déclare-t-il. Avec profit, certes ! Mais, s’il profite de sa lecture, le malin veille à déconsidérer sa victime. Il présente ainsi l’abbé d’Aubignac : « Notre homme niait l’existence d’Homère et soutenait que l’Iliade et l’Odyssée n’étaient que deux recueils, deux corps de chants séparés, tragédies, chansons diverses de mendians, de bateleurs, de carrefours, à la manière des chansons du Pont-Neuf... » Ces derniers mots sont en français dans le texte latin de Wolf... « Et le reste à l’avenant ! et, dans la préface, cette déclaration de l’auteur, qu’il n’avait tiré aucun profit des lettres grecques ! Que l’on juge du reste ! ce n’est que songes et folies, somnia et deliramenta ! » En d’autres termes, notre compatriote, ce Francogallus dérisoire, est un fou. Après cela, qui s’aviserait de confondre l’opinion de l’érudit professeur Wolf avec les délires de ce Français ? et qui même s’aviserait de lire ce Français délirant ? Personne. En définitive, le professeur Wolf, très astucieux, est parvenu à ses fins. Il avait si bien dénigré notre d’Aubignac et les Conjectures que les critiques cessèrent de lire les Conjectures, ne lurent que les Prolégomènes et annoncèrent que Wolf était un prodigieux inventeur. Un prodigieux menteur, plutôt. S’ils avaient lu Wolf et d’Aubignac, ils auraient vu ce que M. Victor Bérard a découvert : l’imposture de Wolf. Les contemporains de l’imposteur, lisant les Conjectures avant que Wolf les eût dégoûtés d’un pareil effort, s’aperçurent de quelque chose. En 1796, d’Ansse de Villoison, que Wolf louait comme l’héritier des Estienne, des Saumaise et des Casaubon, écrivait à Sainte-Croix : « M. Wolf est un savant du premier mérite ; mais il est atteint de la maladie du siècle, de la fureur d’innover. Cependant, comme il est presque impossible de trouver maintenant une erreur nouvelle, il n’a fait que ressusciter celle de l’abbé d’Aubignac... » Tout au plus d’Ansse de Villoison veut-il accorder que Wolf a enrichi d’une vaste érudition l’erreur de l’abbé d’Aubignac. Et le philologue italien Cesarotti, le traducteur d’Homère et d’Ossian, qui avait reçu de Wolf les Prolégomènes, l’en remercie comme ceci : « L’hérésie de d’Aubignac, dont vous vous êtes emparé ; Aubignacii hacresim quam tuam fecisti... » C’est par une « argumentation plus rigoureuse » que Wolf, au dire obligeant de Cesarotti, a transformé en système de Wolf le système de d’Aubignac. Mais Cesarotti, fût-ce avec politesse, note l’annexion. La politesse n’empêcha point Wolf d’être furieux : neuf ans plus tard, il abominait encore « ces gens qui l’accusaient d’avoir repris à son compte les inepties démodées de quelques Français. » Alexis Pierron, bon éditeur de l’Illiade, offre au lecteur ce commentaire : « Ces