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à la lecture des auteurs. Il apprit tout seul le grec et l’italien, la rhétorique, la poésie, la cosmographie, la géographie, l’histoire, le droit et la théologie ; « et je défie tout homme vivant au monde de se vanter m’avoir jamais rien enseigné comme maître, ni de dire que j’aie jamais étudié une heure dans aucun collège de la terre : et, si je ne suis pas riche, je n’ai rien emprunté des autres !… » Et il assure qu’il observe les lois de la modestie et de la sincérité, en se déclarant, comme saint Augustin jadis, autodidacte. Jeune homme, il fut à Nemours le personnage intéressant d’une société précieuse, pour laquelle il composa des poèmes éperdument allégoriques, à la mode parisienne. Pendant la Fronde, il eut ses amitiés parmi les turbulens, prononça (dit M. Charles Arnaud) l’oraison funèbre de la marquise de Meignelay, tante du cardinal de Retz, l’oraison funèbre du maréchal de Rantzau, qui sortait de la prison royale, l’oraison funèbre de la princesse de Condé ; puis, quand le coadjuteur devint le cardinal de Retz, il le harangua solennellement et le félicita d’avoir su « confondre la mauvaise joie de ses ennemis. » Ce d’Aubignac, c’est un frondeur. Habile, du reste, et qui a le talent subtil de ne jamais se compromettre qu’à moitié. Il ne va point au scandale ; mais il étonne volontiers son prochain.

Voilà son caractère. Ses Conjectures, il les a écrites pour son Académie des Belles-Lettres, pour cette Académie des nouveautés et qui réagit contre la routine. Ce n’est pas un ouvrage de pédant. Et il a dit, dans une de ses Dissertations, la quatrième « en forme de remarques sur la tragédie de M. Corneille intitulée Œdipe : » « J’ai pris un genre d’écrire plus convenable à l’entretien des cours et aux conversations des alcôves qu’aux disputes des doctes. » L’abbé Boscheron, qui l’a bien connu, raconte qu’il parlait de ses Conjectures comme d’un « jeu d’esprit » et, en quelque façon, comme d’une gageure : soutenir « qu’Homère n’était pas un bon poète » et que ce médiocre poète n’a point existé, cette prouesse l’aguicha. Et il plaisante, lorsqu’il se déclare athée du dieu Homère et prétend ne se rendre, pour cela, « suspect d’être mal affectionné à la couronne, ni de mal penser de la religion, » refuse la sévérité des lois et les anathèmes de l’Église, annonce qu’il n’aura point à se défendre contre « les orages de la Cour et les foudres du Vatican. » Ses bravades souriantes l’amusent ; il ne cache pas qu’il se divertit. Voyez comme il entend les « matières d’érudition : » louange, dit-il, « à tous ceux qui cultivent les sciences et les belles-lettres, de rechercher quelque ; agréables curiosités et de les communiquer aux autres avec plaisir ! »