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Ils montent péniblement dans les camions béans, ils s’aident à se hisser à l’intérieur, ils s’installent sur les banquettes après avoir ramassé en tas, soigneusement, les armes, les fournimens, les sacs. Alors les pipes s’allument, la respiration se modère, mais la conversation ne reprend pas encore. La fatigue clôt les bouches. Les moteurs ronflent, les automobiles démarrent, la poussière vient se coller sur la boue, et dans les visages gris les yeux brillent comme des veilleuses dans les chapelles.

Ils ne verront pas l’attaque. Ils ignoreront, cette fois, son angoissant réveil, les serremens de main aux camarades, l’anxiété du départ, mais aussi la marche en avant, la conquête, la victoire. Cependant ils ne sont pas tous revenus. Ils ont laissé du monde là-haut, l’outil ou le fusil aux doigts. La mort frappe au hasard travailleurs ou guetteurs. Et les revenans aux faces de boue et de poussière, aux regards chargés d’ombre, disparaissent presque sans parler sur le chemin par où les troupes d’attaque sont venues, joyeuses, pour délivrer Douaumont et Vaux...


IV. — LE MOULIN
(23 octobre)

« C’est la jeunesse de la vie, ce sont les personnes qui font les beaux sites [1]. »

Ce pauvre village meusien, tout près de Verdun, triste et sale, au creux d’un vallon peu profond, partie en bordure de la grande route, partie descendant vers une eau courante comme un bétail cherchant l’abreuvoir, n’a rien qui puisse retenir les yeux. Et pourtant les curieux d’histoire y viendront chercher des évocations.

Sa maison principale est à l’écart, précédée d’une cour, ceinte d’un jardin. C’est le Moulin. Un salon de campagne, assez vaste, occupe la majeure partie du rez-de-chaussée : des tables, des fauteuils de cuir, des cartes sur chevalets ou fixées au mur, le meublent. De lourdes toiles de tente le coupent en deux, séparant le cabinet de travail du général Mangin et celui de son chef d’état-major, le colonel Fiévet.

  1. Chateaubriand.