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aucun trépied, qui est comme suspendu en l’air, c’est Douaumont qui brûle.

Voici une poignée de nouvelles. Un pigeon allemand capturé apporte sous son aile l’aveu du désarroi d’un bataillon ennemi à Thiaumont : dans ce message, le chef déclare toutes les tranchées bouleversées, et demande instamment la relève pour le soir même, les hommes n’étant pas en état de combattre, Une centaine de fantassins se sont constitués prisonniers dans la région de Fleury pour échapper au bombardement de leurs abris et, parmi eux, un officier qui, interrogé, a déclaré avec assurance : « Nous ne prendrons pas plus Verdun que vous ne reprendrez Douaumont. »

Pourvu qu’il fasse beau temps demain !


V. — LA VICTOIRE AILÉE
(24 octobre)

Du sommet de Souville, j’ai vu la Victoire escalader et couronner Douaumont...

Nos batailles modernes ne s’offrent guère en spectacle. Elles sont d’habitude cruelles et mystérieuses. De grands espaces vides parsemés de trous d’obus et coupés de longs sillons qui marquent la terre comme les veines marbrent la main ; des colonnes de fumée qui montent des éclatemens ; une ligne d’ombres bleues qui rasent le sol, puis disparaissent ; un reste de village ruiné qui flambe ; un barrage qui s’allume comme une rampe de théâtre et laisse dans l’incertitude du drame qui s’accomplit derrière ce rideau soudainement tiré, — et c’est tout. Ceux qui sont dans la bataille n’en connaissent jamais qu’un épisode. Elle se suit des observatoires dont le champ est souvent restreint et qui se complètent les uns les autres. Elle s’en va dans les postes de commandement, conduite jusqu’à leurs souterrains ou leurs abris par les fils téléphoniques, transmise par les signaux optiques, volant sur les ailes des pigeons, portée par les coureurs. Mais la victoire du 24 octobre, je l’ai vue se dresser devant moi brusquement, comme un être vivant.

Sans en avoir la portée, sans avoir mis en jeu des forces comparables ni provoqué de telles conséquences, cette journée historique du 24 octobre nous a ramenés aux heureuses journées