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Et j’imagine aussi, non sans une angoisse secrète, l’ordre de bataille allemand, 21 bataillons en première ligne, 7 en soutien, 10 en réserve, les lignes de tranchées, les défenses accessoires, les redoutes, telles que je les ai vues sur les photographies prises en avions, l’ouvrage de Thiaumont, la carrière d’Haudromont, enfin et surtout les forts, Douaumont et Vaux. Nos batteries les ont-elles suffisamment réduits, triturés, cuisinés, mis en bouillie ? Comment nos hommes viendront-ils à bout de tels obstacles matériels et humains ?

À chaque instant je regarde ma montre : onze heures, onze heures vingt, enfin onze heures quarante. C’est l’heure fixée. Cette attaque, que j’aurais dû voir déferler dans le ravin pour remonter ensuite les pentes, a-t-elle lieu en ce moment ? L’artillerie a-t-elle allongé son tir ? Impossible de rien savoir. Rien n’est changé au rythme des obus qui passent. Il est onze heures cinquante, il est midi. Mais qu’est-ce que j’entends sur ma droite ? Le tac-tac des mitrailleuses. Si les mitrailleuses tirent, l’attaque est déclenchée. Si les mitrailleuses tirent, il n’y a pas de surprise, et les nôtres rencontrent de la résistance.

Je ne les entends plus. Le bruit des canons remplit l’espace, plutôt même le sifflement des projectiles que leurs départs et leurs éclatemens dont la sonorité est amortie par la brume. De nouveau, c’est l’inquiétude, c’est l’incertitude qui se prolongent. Pour savoir ce qui se passe, je retourne au poste de commandement.

Les coureurs attendent leur tour de partir. Ils sont coiffés du casque, le masque en bandoulière. À cause de l’abat-jour leurs visages sont dans l’ombre. Ils ne parlent pas, ils sont prêts. Cependant les nouvelles affluent. Le départ a été magnifique, à l’heure prescrite. La division de Salins a atteint son premier objectif : la carrière d’Haudromont, l’ouvrage de Thiaumont, si disputé les mois précédens, la ferme de Thiaumont qui est au delà (quelle ferme ! on n’en retrouve même pas les murs) sont à nous. La division Passaga a atteint la batterie de la Fausse-Côte. La division de Lardemelle rencontre au bois Fumin une résistance acharnée. Partout on a progressé. Selon les ordres, on s’organise, on va repartir, on repart. Mais comme il est difficile de suivre une opération ! Le téléphone est à chaque instant coupé, et des équipes d’une ténacité inouïe vont sous le feu rétablir les fils. Les coureurs, les pigeons se succèdent. Des prisonniers