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sont signalés au poste des Carrières, à celui du Petit-Bois. En voici une vingtaine, dont un officier : maigre, enfiévré, les yeux brillans, la face brûlée disparaissant à demi sous l’énorme ?asque de tranchée, il répond à toutes les questions et dit la surprise des Allemands dans le brouillard. Les zouaves descendent dans le ravin de la Dame et dans celui de la Couleuvre. Les chasseurs montent les pentes de la Caillette...

Mais de tout cela qui, ce soir, sera une victoire éternelle, rien n’apparaîtra-t-il donc aux yeux dans cette maudite brume ? Elle a joué son rôle efficace. Maintenant, ne va-t-elle pas se dissiper ?

Je regagne les pentes de Sou ville. Le moteur d’un avion ronfle au-dessus de ma tête. Il vole si bas qu’il va me frôler, accrocher la colline. Je l’aperçois, immense et grisâtre, dans le brouillard. On m’a dit le soir que l’aviateur, se penchant, avait applaudi les fantassins et que ceux-ci, de la terre, avaient rendu à l’oiseau son salut.

Voici que, vers deux heures, le vent, plus fort, commence de tourmenter les nuages. Il les pourchasse, d’autres reviennent. Il redouble de violence, les déchire enfin, et les nuages poursuivis se livrent à une fuite éperdue, comme en montagne au passage des cols quand souffle la tempête. Les nuages tordus et froissés claquent comme des drapeaux, Dans les intervalles de leur course, une pente, une crête surgissent. Je vois, je vois, je reconnais la côte de Froideterre, la crête de Fleury, le village réduit en poudre, les pentes de Douaumont, Douaumont enfin et sa dentelure. Les nuages vont maintenant si vite qu’en un clin d’œil leur troupeau s’est dispersé, et le paysage se livre avec cette extraordinaire netteté qui précède ou qui suit le mauvais temps.

Avec mes jumelles, je scrute l’horizon. Je pourrais compter les trous d’obus. Ils sont pleins d’eau, ils se rejoignent ou presque. Nos soldats ont passé là : comment ont-ils pu passer ? Mais ce paysage n’est point mort. La terre tremble sous nous, comme saisie de frissons. L’artillerie ennemie, ressuscitée ou renforcée, multiplie les barrages. Trop tard : nos hommes doivent être au delà. Et là, devant moi, sur la pente de Douaumont, des hommes couleur de la terre remuent. Ils marchent en colonne par un, en ordre. Ils avancent, ils montent, ils approchent. Sur la crête à droite, venant de la batterie Est, en