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voici un qui se profile en ombre chinoise, puis un autre, et un autre encore. Il en vient aussi de l’autre côté maintenant. D’autres descendent dans la gorge. Mais ils vont se faire voir, ils vont se faire mitrailler. Ne vous montrez donc pas comme ça ! c’est insensé ! Ils s’agitent, ils tournent, comme s’ils décrivaient une ronde au-dessus de Douaumont conquis, une farandole de la Victoire. Ecrasent-ils les défenseurs ? Est-ce un corps à corps ? De loin, c’est comme une danse sacrée. Puis la plupart disparaissent à l’intérieur. Un avion décrit de grands cercles au-dessus du fort, comme un oiseau de proie.

Douaumont pris ! Est-ce possible ? J’ai envie de crier. J’ai dû crier, mais je n’ai pu entendre le son de ma voix dans le fracas de la mitraille qui ébranle la colline. Les obus éclatent dans notre voisinage : c’est la riposte allemande sur Souville. J’ai dû crier, car je mâche maintenant un peu de terre qu’un obus vient de faire jaillir jusque dans ma bouche ouverte. Douaumont est à nous. Le géant Douaumont qui, de sa masse et de ses observatoires, domine les deux rives de la Meuse, est de nouveau français. Le captif est délivré.

Je me souviens de ce soir triste du 25 février dernier où, dans la boue et la neige, nous apprîmes que Douaumont était perdu. Nous ne voulions pas le croire. Nous ne pouvions pas le croire. Et voici qu’en moins de quatre heures, ce Douaumont avec tout un territoire qui va des carrières d’Haudromont au ravin de la Fausse-Côte, nous est rendu. En moins de quatre heures, le travail allemand de huit mois est aboli. L’ennemi à son tour ne veut pas croire, ne peut pas croire que Douaumont lui soit ravi. Il ne tire pas sur le fort ; il attendra plus d’une heure avant d’oser régler son tir sur son ancienne conquête. Mais il se rattrape sur Souville qui reçoit une large distribution. Les pentes sont pilées, la tourelle sonne, la terre saute. Faut-il donc si vite s’arracher à cette vision triomphale ?

Il est quatre heures et demie. Le soir, déjà, tombe : il est temps de redescendre de Souville sur Verdun : « Vous passez par la caserne Marceau. Chargez-vous de ce Boche. Vous l’y déposerez. L’interprète l’interrogera avant de l’envoyer à l’arrière. »

Et l’on me confie un infirmier allemand fait prisonnier et amené au poste de commandement de la division. C’est un jeune garçon roux et rose, docile et serviable. Je lui donne