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institutions qui devaient assurer son bonheur et qui étaient déclarées odieuses et tyranniques quelques mois plus tard ; on a réclamé son admiration et son amour pour tant d’hommes qu’il entendait, peu après, traiter de vendus et de criminels ! Il est crédule, on lui prêche le scepticisme ; il est confiant, des fourbes le trompent ; il est accueillant, les espions pullulent ; il aime parler, on lui crie : tais-toi ! Doit-on s’étonner que, aux ronces de si rudes désillusions et de si dures contraintes, il ait laissé des lambeaux de sa candeur, de sa sociabilité et de ses vertus hospitalières, qu’il poussait jusqu’au désintéressement avant qu’il n’eut appris, au contact d’étrangers insolens et chicaneurs, à se garder de sa bonté naturelle.

Car c’est une constatation unanime que partout, en France, au temps d’avant nos grands bouleversemens, on était reçu « de bon cœur. » Il y a aujourd’hui, chez nous comme ailleurs, des hôtels, voire des Palaces, où les égards sont gradués, ainsi que le menu, suivant le prix de la pension. — Autrefois on trouvait l’Auberge : c’est-à-dire, non seulement le couvert et le vivre, mais de l’empressement, de l’intérêt, de l’affection, du dévouement. Ah ! les aubergistes de notre pays, qui, jamais, les célébrera dignement ? Une aubergiste de Calais, Mme Grandsire, risque sa liberté, peut-être sa vie, pour sauver une émigrée, d’elle inconnue, revenant d’Angleterre sous un faux nom et que le hasard seul a conduite chez elle[1]. — À La Flèche, il y a Mme Richard qui règne au Lion-d’Or, chez qui l’on paie en proportion inverse de ce qu’on mange : trente sols par tête pour deux services en volaille, gibier et poisson, et bon feu dans la chambre ; six francs pour une simple omelette ; car Mme Richard ne supporte pas qu’on dédaigne sa cuisine. Elle tutoie ses hôtes de distinction, officiers, prêtres, nobles, et même l’évêque d’Angers, Mgr de Grasse, que réjouit cette familiarité[2]. Il serait téméraire d’avancer que le fils de Mme Richard dut à quelque aristocratique estomac, reconnaissant des ripailles du Lion-d’Or, de voir fléchir la loi en sa faveur ; mais il est certain que, ancien conventionnel ayant voté la mort du Roi, il fut l’un des préfets de la Restauration, qui l’excepta de la proscription des régicides. — À Loches, il y a l’hôtel du sieur Nicolin, ancien cuisinier d’archevêque, chez qui l’on vient de loin et on séjourne

  1. Mémoires de la duchesse de Gontaut, p. 50 et suiv.
  2. Souvenirs d’un Nonagénaire, I, p. 343.