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longtemps en raison de ses « ailes de perdreau en papillotes sur un hachis de truffes… » son triomphe. À Pont-Saint-Esprit, un Anglais, sa femme, son médecin, sa berline et ses gens, pour quatre chambres à feu, un déjeuner, un souper copieux avec filet d’ours, truffes, etc. dessert, punch, vins rares et café, paient, en novembre 1784, une somme si minime qu’une discussion s’engage entre les voyageurs et l’hôtelier, lequel proteste qu’il n’acceptera pas un denier de plus ; bien au contraire, avant le départ, il offre une bouteille de liqueur, que les maîtres, confus, refusent et que se partagent leurs domestiques[1].

On ne peut parler des auberges de cette époque sans mentionner au moins l’hôtel Dessin, à Calais : une véritable cité avec cuisines vastes comme des cathédrales, écuries somptueuses, caves opulentes, magasins de tous genres, rues, jardins, allées, places, théâtre, etc. Dessin traitait ses hôtes avec autant de splendeur que de désintéressement ; si bien qu’il s’y ruina ; mais le trésor royal, comprenant l’importance de conserver dans la ville où débarquaient le plus d’étrangers une institution symbolisant, en quelque sorte, l’accueil de la France, prêta, sans intérêts, à l’aubergiste, une somme considérable afin de rétablir sa situation. On dit même qu’une pairesse d’Angleterre, la duchesse de Kingston, avisée de sa gêne, lui fit don de 50 000 francs[2]. Partout, les hôteliers, dussent-ils aller à la banqueroute comme leur célèbre collègue, s’ingénient à faire bonne chère aux hôtes d’un jour qu’ils ne reverront plus. Le docteur Rigby, malgré ses préventions, se résigne à reconnaître, dès les premiers jours de son voyage, que « la cuisine d’auberge est admirable ; » des « fricassées à faire les délices d’un alderman de Norwich[3]. » Dans les restaurans de Paris, même délicatesse, mêmes attentions avec, en plus, une singulière recherche d’élégance. Que chez Méot, maison fameuse, on ne servît que dans des assiettes d’argent[4], il n’y a rien là de très extraordinaire ; mais le même luxe se retrouvait dans les restaurans à bas prix et même aux tables d’hôte fréquentées par les étudians : chez Trianon, rue des Boucheries-Saint-Germain,

  1. Journal de Mme Cradock.
  2. Voyage d’un Anglais à Paris, 1788, Revue rétrospective 1889. Tome X, et Reichard, Guide du voyageur en France.
  3. Lettres, traduites de l’anglais par M. Caillet. introduction par le baron de Maricourt.
  4. Souvenirs inédits de Delécluze, Revue rétrospective. Tome X, p. 272.