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et chez un autre traiteur, rue du passage des Petits-Pères, « on était servi en vaisselle d’argent pour la modique somme de 24 à 30 sols[1], » et, en 1775, chez un petit gargotier de la rue de Harlay, on a, « pour 12 sols, la soupe, le bouilli, une entrée, une pomme et un morceau de fromage, le tout servi en vaisselle plate[2]. »


L’ordonnance et le « cérémonial » des repas sont peut-être, entre tous les usages familiers, ceux qui ont, en France, subi, depuis un siècle, le plus de modifications. Aujourd’hui la correction impose aux maîtres de maison l’obligation de se désintéresser, du moins en apparence, de ce qui se passe autour de leur table. Il est de règle qu’ils affectent « l’air de ne pas être chez soi » et qu’ils fassent mine d’ignorer même la composition du dîner qu’ils offrent à leurs invités. Ce « bon genre » est passé des tables opulentes aux tables bourgeoises. Jadis il en était autrement et quand « on priait » quelqu’un, c’était une affaire. Chez les paysans riches, et même chez beaucoup de citadins de la classe moyenne, fussent-ils très fortunés, la maîtresse de maison ne s’asseyait pas à table ; elle ne consentait à y paraître, sur les instances de toute l’assemblée, qu’après le premier service et pour quelques instans seulement ; elle s’éclipsait de nouveau et revenait au dessert occuper sa place jusque là vacante et se mêler à la conversation. Il n’est pas besoin d’être centenaire pour garder souvenir de cette singulière coutume encore observée en Lorraine il y a quarante ans. La raison en était cette idée généralement admise que, lorsqu’on héberge quelqu’un, il convient de témoigner qu’on se donne de la peine pour le recevoir : il n’était pas de bon accueil s’il ne paraissait occasionner un dérangement ou un sacrifice et imposer quelque abnégation. C’est dans ce sentiment qu’il faut chercher l’origine des corvées qu’ont si longtemps volontairement assumées les amphitryons de toutes classes, depuis le villageois traitant ses métayers, jusqu’au souverain recevant les ambassadeurs des puissances étrangères accrédités auprès de son auguste personne. Il leur fallait découper à table les viandes et les volailles et servir chacun des convives avec une phrase aimable. Je crois que l’Empereur ne se soumit jamais à cette

  1. Vie publique des Français, I, 355.
  2. Souvenirs d’un nonagénaire, T, 207.