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quel air d’abondance et de contentement est répandu dans tout le royaume. »

Le paysan de l’ancienne France était-il donc heureux ? C’est une question à laquelle on répond, d’ordinaire, par le mot si souvent cité de La Bruyère qui n’a vu, lui, en nos villageois, que « des animaux farouches mâles et femelles répandus par la campagne. » Outre que l’auteur des Caractères vivait à une époque qui n’est point celle que nous explorons, il est permis de penser que très casanier, assure-t-on, il aura quelque jour aperçu des gens qui cueillaient des pissenlits, — c’est, comme nul ne l’ignore, le nom de la plus estimée des salades ; — et, de la nouveauté de ce spectacle, il aura conclu, témérairement, que tous les ruraux vivaient d’herbes et cherchaient leur pâture à la manière des bêtes : simple bévue de citadin qui sort trop rarement de la ville. On allègue aussi, afin de noircir le tableau, les « cahiers de doléances » que toutes les paroisses de France furent, en 1789, autorisées à rédiger pour exposer leurs besoins et formuler leurs vœux de réformes. De cet imposant amas de paperasses qu’on se plaît à exhumer aujourd’hui pour nous faire mieux apprécier les beautés de l’état actuel, s’exhalent, en effet, des cris de détresse, des lamentations à tirer les larmes aux yeux des plus endurcis. Ce sont là des documens irréfutables, dont les originaux sont conservés dans nos archives et portent les signatures des notables qui en sont les auteurs : c’est, en deux mots, de l’histoire officielle.

Certes, nul ne songe à nier l’authenticité de ces cahiers fameux ; mais il n’est point interdit de contester leur véridicité. Le seul, peut-être, dont il soit possible de contrôler nettement, après tant d’années, les assertions, ne doit être pris ni au tragique, ni même au sérieux. C’est celui de la paroisse de Nouans. Il fut rédigé par François-Yves Besnard, curé du village, bien placé pour connaître la misère de ses ouailles, et il la décrit, sans emphase comme sans ménagement : la peinture est navrante : « Nouans, expose le Cahier, contient environ 150 feux, dont la moitié est inscrite sur l’état des pauvres, ou ne se procure qu’avec peine les plus étroits moyens de subsistance ; le reste, si l’on excepte trois ou quatre chefs de famille dont la propriété et l’aisance n’ont rien de remarquable, se soutient par son travail et son économie. » Suivent les récriminations contre la milice, les impôts, le prix trop élevé du tabac, les