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corvées, etc. charges écrasantes pour des villageois si dénués de ressources.

Le même François-Yves Besnard, brave homme à la vérité, très épris des idées nouvelles, devait, quelques mois plus tard, renoncer au sacerdoce et renvoyer ses lettres de prêtrise. Il ne peut donc être suspect d’indulgence exagérée pour l’ancien régime. Or, dans les Souvenirs de sa longue vie, qu’il écrivit pour sa propre satisfaction, il nous présente, de sa paroisse, un tableau tout différent de celui naguère adressé à Messieurs des États généraux : il nous conte comment, en arrivant à Nouans, il remarqua « avec admiration » que le sol était parfaitement cultivé : vergers d’arbres fruitiers, jardins potagers, champs de blé, de chanvre, de haricots, de trèfle ; bœufs, vaches et chevaux pâturaient « ayant de l’herbe jusqu’au ventre. » Pas une parcelle de terrain nu. Les maisons n’étaient guère confortables ; mais les basses-cours étaient bien peuplées et il n’y avait pas de petite ferme de quarante arpens qui ne comptât ordinairement six bœufs de travail, six vaches laitières, six génisses, six taureaux, deux jumens poulinières, soixante à soixante-dix moutons, quatre à cinq porcs… etc. Quant à la nourriture des paysans, même des moins aisés, elle était « substantielle et abondante. » Le pain fort bon, le cidre ne manquait à personne. Le potage, au dîner et au souper, suivi d’un plat de viande ou d’œufs ou de légumes ; au déjeuner et à la collation, toujours deux plats, beurre et fromage, puis, souvent, des fruits crus ou cuits. Les tables étaient couvertes de nappes : chacun des convives, muni d’une assiette, d’une fourchette et d’une cuiller, se servait « suivant son idée. » Les vêtemens des plus pauvres, « propres et cossus, » ne différaient en rien de ceux des « richards ; » un simple jardinier était habillé comme son patron. Tout ce monde, hommes et femmes, se réunissait aux cabarets qui « ne désemplissaient pas les jours de dimanches et fêtes, » et où l’on buvait du vin d’Anjou[1]. Et voilà quelle est la vie d’une population qui, lorsque le Roi demande à ses sujets de lui faire entendre leurs motifs de plaintes, est représentée, dans son Cahier, comme étant pour la moitié inscrite sur l’état des pauvres, ou ne se procurant qu’avec peine les plus étroits moyens de subsistance ! Si, pourvus d’un si plantureux

  1. Souvenirs d’un nonagénaire.