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plus de 4 livres par jour[1]. Encore à l’aurore du Consulat, le baron de Frenilly, dont le revenu ne dépasse point « 10 à 12 000 livres, » possède vaste domaine à la campagne nécessitant régisseur et gardes-chasses, deux appartemens à Paris, dont l’un au faubourg Saint-Honoré, sept domestiques et un coupé « fait à Londres et charmant, à cela près qu’il était passé le mode et nous donnait, avoue-t-il, l’air de personnes distinguées de Brive-la-Gaillarde. »

Comment cet âge d’or a-t-il pris fin ? Par quelles séries de complications, par l’ingérence de combien d’intermédiaires, et de statisticiens, et de fonctionnaires occupés à faciliter les transactions, à encourager l’élevage, à stimuler l’émulation des Comices agricoles, à multiplier les moyens de transport, le poulet qui valait cinq sous arrive-t-il à nous coûter quinze francs ? C’est là un de ces mystères dont les économistes détiennent, bien certainement, l’explication ; mais, pour un profane, l’énigme paraît indéchiffrable.


Outre ces avantages matériels, non méprisables, nos ancêtres en avaient sur nous un autre que nous ne leur envions pas, faute d’être en état d’apprécier et sa douceur et son importance : ils aimaient leurs rois qu’ils considéraient, avec un respect mitigé de beaucoup de familiarité, à l’égal d’un chef de famille. Après tant et de si tragiques révolutions, cette assertion paraîtra téméraire ; « elle s’appuie cependant sur des constatations qu’on ne peut infirmer : à ce point de vue comme à bien d’autres, notre histoire a été tellement maquillée par les partis successivement triomphans, qu’à l’étudier autrement que dans leurs récits intéressés, on croirait lire la chronique d’une autre nation très lointaine et très dissemblable de nous. Il est certain que, dans les dix premières années du règne de Louis XVI, époque où ce sentiment atteignit son apogée, le peuple de France se sentait uni à ses maîtres par une longue succession de luttes, de gloires, d’efforts, de traditions, d’intérêts communs ; le lien paraissait indissoluble. Certes, depuis longtemps, des théoriciens novateurs entrevoyaient et « préparaient » l’ouragan ; ceci n’est point de notre sujet ; le peuple, lui, n’entendait pas gronder au loin l’orage ; il fut le dernier à s’apercevoir que le

  1. Une famille de parlementaires Toulousains, p. 187.