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ciel se couvrait de nuages. Il était, de 1775 à 1785, enivré de joie de voir, comme l’a dit Michelet, « un honnête jeune Roi avec sa jeune épouse s’asseoir sur le trône purifié de Louis XV. » Quels espoirs ! Quelle détente universelle ! Quel libéralisme émanant de la couronne ! « Un noble enthousiasme animait tous les esprits, » écrivait Malesherbes : il semblait que le bonheur du pays était à tout jamais assuré. Même ceux qui avaient à se plaindre de quelque agent du pouvoir ne rendaient pas le souverain responsable de cette oppression subalterne — « Ah ! si le Roi le savait ! » disaient les pauvres gens tracassés par le fisc. Et les femmes de Paris appelaient Louis XVI « notre bon papa. »

Que ce sentiment contînt une part de factice, on l’accorde. On y aurait trouvé aussi, à l’analyse, l’amour-propre satisfait, le peuple se trouvait inconsciemment flatté d’obéir à des maîtres en comparaison desquels tous les monarques de l’Europe et de l’Asie n’étaient que « des rois de province. « Il s’enorgueillissait du prestige incontesté de l’auguste famille à laquelle étaient liées ses destinées. Il n’était pas peu fier que la Cour de France fût la plus somptueuse, que le palais de Versailles fût le plus admiré du monde : les robes de bergère que portait la Reine à Trianon, et ses courses en fiacre dans Paris ont plus ébranlé la monarchie que ne l’avaient fait les coupables gaspillages de Louis XV.

« La splendeur est indispensable à une Cour française ; ce n’est pas la vanité des princes, c’est la vanité du peuple qui détermine cette nécessité[1]. » Sébastien Mercier a finement noté ce trait de notre caractère : « Un bourgeois de Paris dit très sérieusement à un Anglais : Qu’est-ce que votre Roi ? Il est mal logé, cela fait pitié… Voyez le nôtre… Est-ce là un château superbe ? En avez-vous un pareil à citer ? Quelle grandeur, quel éclat ! Nos princes du sang ont une Cour plus brillante que celle de votre roi d’Angleterre[2]. » Ainsi les « petites gens » tirent-ils gloire de cette magnificence : bien loin de la jalouser ou d’en critiquer la dépense, le peuple en use avec un contentement manifeste et s’y considère comme chez soi. C’est Mercier encore, observateur pénétrant, qui nous révèle cette bonhomie, pure.de toute malice : « Les Parisiens

  1. Xavier Aubryet, Les représailles du sens commun, 195.
  2. Tableau de Paris, 1782, IV, 256.