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le dormeur : il consent enfin à se laisser entraîner, et voilà toute la bande en route pour la banlieue. À Vanves, on patauge durant deux heures ; — on est en février ; — on « court la bague, » on joue « au rat, » et on se promène dans le village où l’on rencontre une noce de paysans se dirigeant vers l’église. Charmante aubaine ! Les deux noces n’en feront qu’une villageois et altesses se mêlent ; on entre ensemble à la paroisse : le curé improvise un petit compliment et reconduit toute cette jeunesse jusqu’à la maison des mariés où est dressée une table de quarante couverts chargée de volailles et de pâtés. « Nous en emportâmes un et fûmes nous réjouir avec les gens de la noce, » relate simplement le duc de Croy, qui ne juge nullement déplacée cette escapade[1] ; notre intelligence de l’histoire est à ce point faussée que, mise au théâtre, fût-ce dans une opérette, une telle anecdote nous paraîtrait d’une extravagante invraisemblance.

À lire les vieux récits laissés par les contemporains, nous croyons comprendre, — à peu près, — que cette tendresse du peuple pour ses maîtres s’accroissait d’une confiance réciproque : on se la témoignait, de part et d’autre, en toute occasion : les souverains ne redoutaient pas de se mêler à la foule ; ils la recherchaient au contraire, certains de la trouver toujours, — miracle de l’amour ! — pleine de tact, de respect discret et de convenance. Quoi de plus révélateur sur ce point que l’aventure d’un étudiant tourangeau récemment débarqué de sa province et qui, curieux de visiter Versailles, est venu y passer une journée en compagnie d’une jeune femme, sa compatriote, dont l’allure nonchalante et la taille arrondie ne laissent aucun doute sur de prochaines espérances de maternité. Ils ont vu les appartemens, la famille royale se rendant à la chapelle, les jardins, Trianon… Vers le soir, les deux provinciaux flânent sur la terrasse du château, parmi une grande affluence composée de gens de tous les mondes : il y a même des bateleurs et des faiseurs détours. Mais la promeneuse est excédée de fatigue : où se re(>oser ? Tous les bancs de marbre sont occupés. Enfin le jeune homme en avise un sur lequel deux femmes seulement sont assises : il s’élance, et va s’emparer de l’espace resté libre à côté d’elles ; il en prend, sans cérémonie, possession,

  1. Mémoires du duc de Croy, 138, 139.