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d’officiers, » il déclara que la Roumanie ne la laisserait pas envahir son territoire.

Le comte Czernin ne doutait pas de la sincérité du monarque, mais il pensait que Bratiano pourrait lui forcer la main, en le mettant subitement en présence du fait accompli.


Les Roumains ont-ils encore peur ou bien non ? Toute la question politique est là, et le Roi ne nous viendra pas en aide si M. Bratiano n’a plus peur.


Informé de divers côtés des négociations que tramait le président du Conseil roumain avec les Puissances de l’Entente, le baron Burian, en date du 18 juillet, donnait pour instructions au comte Czernin d’agir directement sur le Roi : « bien qu’on ne puisse guère compter sur la force de résistance de sa nature si peu énergique, si impersonnelle, il faut, quand même, tenter auprès du roi Ferdinand une nouvelle démarche, lui mettre sous les yeux le déplorable effet moral que produirait un grossier (krassen) manque de parole de sa part, et lui rappeler que, dès le commencement de la guerre, nous avions fermement résolu, d’accord avec le feu roi Carol, que le maintien de l’alliance ne devait pas être modifié. »

Nous trouvons des détails particulièrement intéressans dans une lettre du 29 juillet 1916, où le comte Czernin raconte à son chef comment il s’y est pris pour provoquer des aveux « d’une étonnante et cynique franchise » de la part de M. Bratiano :


Je lui ai dit que c’était peut-être un des derniers entretiens que nous pourrions avoir ensemble. Alors que, durant mes trois ans de séjour dans ce pays, j’en étais venu à être avec lui sur le pied d’une intime amitié, il serait indigne de nous de ne pas nous expliquer franchement ensemble avant de nous séparer ; je savais qu’il préparait la guerre. Il négociait avec l’Entente ; tous ses intimes annonçaient une mobilisation immédiate. Lui-même excitait tellement l’opinion que Bucarest ressemblait déjà à une maison de fous. Certes, nous n’allions pas reprendre ensemble le vieux thème des devoirs de l’alliance et de la morale en politique, mais il devait savoir que nous envisagions très froidement la perspective d’une déclaration de guerre. Je crois lui avoir dit cela sous une forme adoucie.

M. Bratiano me répondit sur un ton non moins amical : il ne m’avait jamais trompé ; il ne m’avait jamais caché que, si la Monarchie (dualiste) s’effondrait, la Roumanie voulait en profiter (la Roumanie