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S’il faut en croire la dépêche du comte Czernin qui clôt le Livre Rouge et qui ne put être transmise à Vienne que le 23 septembre, par l’intermédiaire du comte Hadik, ministre d’Autriche à Stockholm, la Russie aurait adressé, le 24 août, au gouvernement roumain un ultimatum contenant, d’une part, de vagues promesses (touchant la Transylvanie, le Banat, la Bukovine [1], probablement aussi les bouches du Danube), et, d’autre part, la menace d’une invasion de 100 000 Russes : « à la Roumanie de choisir si ceux-ci viendraient comme amis ou comme ennemis. » Suivant le comte Czernin, M. Bratiano aurait voulu attendre encore et c’est ce qui explique les assurances qu’il avait données jusqu’au dernier moment au ministre autrichien que la Roumanie resterait neutre. Mais les Puissances de l’Entente l’avaient forcé à déclarer sans plus tarder la guerre à l’Autriche.

Quant au roi Ferdinand de Roumanie, il nous est bien permis de croire qu’il avait été sincère en manifestant, à plusieurs reprises, devant le ministre autrichien, son désir de garder une stricte neutralité et nous ne devons pas nous étonner que ce prince, issu d’une vieille race allemande, ait hésité longtemps avant de se ranger aux vues de son ministre. On a raconté qu’à la veille du jour décisif, il avait montré à la Reine une photographie du château de Sigmaringen en lui disant, les larmes aux yeux : « J’ai joué enfant sous ces beaux arbres-là... je ne les reverrai plus jamais. » On devine quelles tortures morales il dut subir à cette heure suprême. Hésitations, regrets, scrupules dont le souverain constitutionnel, encouragé par la vaillante reine Marie, finit par triompher en déclarant « ne pus vouloir contrarier les volontés de son peuple, ni mettre ses préférences personnelles au-dessus des intérêts du pays. » Vainement les représentans de l’Allemagne et de l’Autriche lui rappelaient-ils sans cesse, depuis deux ans, ses origines germaniques et le traité d’alliance naguère signé par son oncle. Le devoir d’un Hohenzollern devenu roi de Roumanie était d’oublier

  1. Rappelons qu’il y a environ 4 millions de Roumains dans ces provinces, dont les deux premières sont sous le joug magyar et dont la troisième, unie jadis à la Moldavie, se trouve incorporée à l’Autriche depuis 1775.