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trop souffert. Et puis, le peuple, patriote, est las de la germanophilie de ses gouvernans. La lutte est engagée : mais qui aura le dernier mot ? Il rappelle 1905 ; le peuple allant au Palais d’Hiver en portant les icônes et le portrait de l’Empereur : la Constitution accordée, puis reprise peu à peu... Cette fois, il est à craindre que le peuple n’ait plus confiance qu’en lui-même et, s’il triomphe, qu’il ne s’arrête pas en chemin. Cependant aucune menace n’a été proférée contre l’Empereur...

Le quartier de Marinsky est si paisible et silencieux que je crois avoir rêvé. A la maison, on s’inquiétait déjà. Je suis la première à y apporter la nouvelle des événemens que, le matin encore, rien ne faisait prévoir. Les révolutionnaires ont bien gardé leur secret.


Vendredi 24.

— La nuit a été tranquille. Mon secrétaire, M. Michel Braguinsky, revenu du front, vient d’arriver. La ville est assez calme et il m’engage à sortir avec lui. Sur la rive gauche de la Neva, les tramways ne marchent plus. M. Michel a pris le dernier qui traversât les ponts, en partant de Vassiliewsky-Ostrow. Même, il a été témoin d’incidens assez significatifs. Voyant un tramway arrêté, il s’adresse à la receveuse et lui demande si l’on va partir.

— Non, car j’ai peur, répond-elle.

Un colonel qui se trouve là l’apostrophe en plaisantant :

— Peur ? Quelle bêtise ! Nous allons partir tout de suite !

Et l’on monte dans le tramway.

Une station plus loin, une nuée de gamins accourt et veut arracher le trolley des fils. Le colonel et M. Michel leur font lâcher prise. Le tramway repart. Les voyageurs ont tiré de l’argent de leurs poches avec leur billet, mais la receveuse refuse de le prendre. Elle invective le wattman :

— Pourquoi es-tu parti ? Est-ce que tu n’as pas été assez battu ? Moi, j’ai déjà reçu des coups et j’ai peur !...

Le pont du Palais traversé, le tram s’arrête, cette fois pour ne plus repartir.

Nous voici à l’entrée de la Newsky. Le beau temps continue, et la foule est nombreuse, comme la veille. Comme la veille encore, c’est à Notre-Dame de Kazan que l’intérêt commence. Presque tous les magasins sont ouverts. La foule promeneuse