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Les révolutionnaires réquisitionnent les autos dans les maisons et s’emparent de tous ceux qui passent. Dans la journée, trois automobiles de l’Amirauté ont été pris ainsi. Autour de l’un d’eux s’est livrée une bataille qui a fait, en morts ou en blessés, soixante victimes !...

A huit heures du soir, dans notre quartier jusque là, resté calme, une fusillade crépite, sous nos fenêtres, dirait-on. Vite nous éteignons l’électricité, afin de ne pas offrir une cible facile. Toutes les lumières voisines se sont aussi éteintes. Nous ignorons tout ce qui se passe au dehors. D’où tire-t-on ? et contre quoi ? Nous attendons dans l’angoisse, poussées malgré tout vers les fenêtres d’où l’on peut voir à travers les vitres, les maisons russes n’ayant pas de volets.

La fusillade se précipite ; des cris percent la nuit ; des gens, des femmes surtout, fuient à toutes jambes. Une des sœurs de mon amie, Mlle Reine, debout sur le rebord intérieur de la fenêtre du salon, a ouvert la fortitchka, passe la tête et regarde : les révolutionnaires attaquent la Caserne des Équipages de la Garde marine, située en angle sur le canal Catherine, à cent mètres à peine de notre maison. Une immense foule grouille sur le pont, le long du canal et dans les rues avoisinantes... Pendant un moment la fusillade redouble et tout à coup, un hourrah formidable retentit...

Presque au même moment, un matelot, ami de Guiorgni, fait irruption dans la cuisine. Il est pâle, sans souffle. Il raconte la scène à laquelle il vient d’assister. Vers sept heures, les révolutionnaires se sont massés devant la caserne et ont parlementé avec les matelots. « Frères, rendez-vous, afin qu’il n’y ait pas de sang versé. » Ayant essuyé un refus, les révolutionnaires ont ouvert le feu. La résistance a été courte. Le hourrah ! que nous avons entendu est celui dont le peuple a salué la reddition. Trois officiers ont été tués. Maintenant, les révolutionnaires, suivis d’une foule qui s’accroît à chaque pas, vont attaquer la caserne du 2e Équipage de la Baltique, située à notre gauche, sur le canal de la Moïka...

Cette fois, nous avons le tir à droite et à gauche. En même temps que la lutte commence sur la Moïka, on continue à se battre au canal Catherine. Les policiers ont installé leurs mitrailleuses sur le toit d’un établissement de bains, en face de la caserne, et dans les clochetons d’une église voisine.