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un instant arrêté devant l’hôpital, puis rieuses et folles elles partent avec les soldats... Les malades se soigneront comme ils pourront aujourd’hui. Ce n’est pas tous les jours la révolution !...

L’aspect de la rue, le tir désordonné autour de nous, tout fait prévoir une journée plus terrible encore que la veille.


La caserne du 2e Équipage de la Baltique n’a pu résister aux autos blindés et s’est rendue ce matin. Il y a une cinquantaine de morts. Maintenant les rues sont pleines de matelots armés. On poursuit ou on recherche les policiers qui essayent de trouver un abri dans les maisons. C’est à eux, surtout, que le peuple en veut. Il n’y a pas, en Russie, d’institution plus haïe que celle de la police.

« Vous ne trouverez qu’une chose parfaitement organisée chez nous, me dit un journaliste libéral, à mon arrivée en Russie : c’est la police. La police est l’agent indispensable de notre gouvernement. Par elle s’exerce l’espionnage intérieur. Ses dénonciations incessantes, ses provocations odieuses ont rempli les prisons, peuplé les bagnes sibériens, fait exiler des milliers d’hommes, sans compter ceux qu’elle a réussi à supprimer tout à fait. Rappelez-vous ce conspirateur romain qui voulant dicter une ligne de conduite à l’envoyé de ses complices le conduisit dans son jardin et abattit devant lui, sans mot dire, les plus hautes têtes de pavots. La police politique russe a profité de cet enseignement hautain. Elle a émasculé la Russie en la privant de ses plus nobles intelligences. Si nous avons perdu la Galicie, si nous sommes en train de perdre la Pologne, si nos arsenaux sont vides, nos services désorganisés, n’en cherchez pas la raison ailleurs [1]. »

Et maintenant, le peuple se venge, Sur tous les points de Pétrograd, toutes les prisons, tous les postes de police sont en feu. Si l’on a brûlé le Palais de Justice, c’est qu’aux yeux du peuple russe il représentait la forteresse policière comme, pour le peuple de Paris, la Bastille était celle de la tyrannie.

  1. La vigilance des censures russe et française en tout ce qui concerne la situation intérieure de la Russie depuis le commencement de la guerre, a obligé les malheureux journalistes à des silences qui ressemblaient parfois à des compromis de conscience. La Révolution, née du désir des réformes, lève le sceau sur toutes les lèvres et sur toutes les plumes et restaure enfin le droit de chacun à la connaissance de la vérité.