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épaule contre épaule. » Comme conséquence M. Kérensky a reçu le portefeuille de la Justice et a été reçu à la Douma avec des acclamations.

On annonce que MM. Choulguine et Goutchkoff seront chargés d’aller à Pskoff demander à l’Empereur de signer l’acte d’abdication.


Vendredi 1er mars.

La neige tombe de nouveau, apaisante. La rue est calme ; les laitiers passent, tirant après eux les traîneaux chargés de grands pots de lait. Des soldats convoient du pain et de la farine vers les postes de ravitaillement. Les ménagères passent avec leur cabas au bras. Les boutiques sont ouvertes ; la poste fonctionne ; les journaux anciens vont reparaître. Soldats et marins réintègrent leurs casernes. Des patrouilles de miliciens parcourent la ville et rétablissent l’ordre. Les isvostchiks sortent un à un, timidement. Le travail des usines recommence demain. Dans la cour de la caserne des Équipages de la Baltique, la musique joue la Marseillaise que les soldats et le peuple soulignent de leurs applaudissemens.

Est-ce la fin ? Cette foule, hier encore hurlante, sera-t-elle assez sage pour se contenter de l’abdication de l’Empereur ? Si oui, la Russie peut espérer en l’avenir. Une ère de travail et de liberté s’ouvre pour elle. Mais si la discipline perdue ne se retrouve pas, si la force de production n’est pas doublée par la bonne volonté des travailleurs, si un patriotisme éclairé ne se manifeste dans toutes les âmes, c’est la défaite sur les champs de bataille, la patrie envahie, la liberté compromise dès sa naissance : c’est la Russie livrée pour des années au désordre, aux dissensions intestines et, peut-être, à toutes les horreurs de la réaction.


MARYLIE MARKOVITCH.