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sur la foi duquel des juges intéressés croyaient à notre décadence.

Or ce genre éperdument réaliste est éperdument faux. L’impression qui se dégage de ces pièces, calquées sur le réel, est au rebours de la réalité. Pourquoi ? Parce que les traits qu’on y groupe peuvent avoir été, chacun en particulier, pris sur le vif, l’accumulation de tous ces traits isolément exacts fait du portrait une peinture de fantaisie, un fantôme à effrayer les gens. Et parce que toute étude qui ne nous est pas présentée expressément comme celle d’un cas d’exception, prend donc un caractère de généralité qui en fausse la portée. Il se peut qu’il y ait eu sur le pavé de Paris de petits dégénérés sans cervelle, sans cœur et sans mœurs, pareils à Max Hamelin. Il se peut qu’il y ait dans notre bourgeoisie des parens promus par leur tendresse maladroite au rang de ganaches. Il est absurde de peindre d’après eux notre jeunesse et notre famille française : il est arbitraire et injuste de nous présenter ceux-là seuls, sans aucune contre-partie : cela ne nous ressemble pas et ne nous a jamais ressemblé ; et l’événement l’a démontré avec abondance, et ce qui s’est passé en France depuis 1914 l’a prouvé avec éclat, et la preuve est faite, et tant pis pour ceux qui n’ont pas su comprendre, et tant pis pour ceux qui ne veulent pas avouer qu’ils s’étaient trompés.

Enfin et surtout, quand il serait vrai que les bonshommes des Noces d’argent aient jamais existé, le moment où nous sommes était mal choisi pour les exhumer d’un passé qui semble déjà si lointain. Non, en vérité, ce n’était pas le moment. Et on comprend trop pour quoi. J’admets que Max Hamelin ait été tel que son peintre nous le présente. Un garçon qui avait vingt ans en 1914, il n’y a pas de doute qu’il ne soit aujourd’hui à l’armée, à la tête d’une section ou d’une compagnie. Peut-être est-il engagé dans la grande offensive, et sa mère attend chaque matin avec anxiété la lettre qui lui dira que son fils est encore vivant. Ce n’est pas le moment de rappeler à cette mère les torts oubliés de ce fils pour qui elle tremble. Ou peut-être est-il tombé aux Éparges, au Bois le Prêtre, au bois de la Caillette, au ravin de la Mort. Hélas ! il n’y a que le choix. Il fallait le laisser dormir en paix.

L’interprétation est bonne. Mlle Dux a mis beaucoup d’émotion dans le rôle de la mère ainsi que Mlle Cerny dans le rôle de la maîtresse trahie. Mlle Valpreux (Suzanne) a de l’élégance et de la grâce, un peu trépidante. M. Bernard est excellent sous les traits du père bonasse, et M. René Rocher a gravé à la pointe sèche le portrait du fils au cœur sec et au monstrueux égoïsme.