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terre de France déjà trop délaissée avant la guerre et que celle-ci a, par la force des choses, fait négliger de plus en plus. Bien qu’il soit presque toujours inutile de jouer les Cassandre, je prévoyais alors et j’annonçais que de graves difficultés pourraient provenir de là avant la fin de la guerre et après celle-ci. Mais les considérations de ce genre ne faisaient même pas sourire alors, pour la bonne raison qu’on n’y prêtait même pas attention. Quant au déficit alimentaire et agricole du pays, eh bien ! l’importation des pays étrangers était là pour y remédier, sans autre effort pour nous que l’abandon d’un peu d’or. C’est cette exportation de notre or, la crise du change, l’appauvrissement en boule de neige qui en devait résulter, c’est en un mot le côté purement financier de la question qui a d’abord un peu inquiété dans ce domaine notre administration. Les réalités de la guerre sous-marine que mènent sauvagement nos ennemis est venue, depuis peu, montrer que le problème est bien plus impérieux encore qu’on n’imaginait, car il ne touche plus seulement à des fictions financières et à des questions de crédit qu’on peut toujours résoudre, mais aux réalités les plus aiguës. Il ne s’agit plus seulement de savoir si les Alliés peuvent acheter et payer ailleurs le blé qui leur manque ; il s’agit de savoir si ce blé acheté et payé peut arriver jusqu’à eux. Le développement de la guerre sous-marine y met pour le moins de sérieux obstacles.

Or, dans le moment même que nos transports par mer deviennent plus difficiles, les quantités que nous avons besoin d’importer augmentent. Le contre-blocus allemand a pour but de nous mettre dans la situation du personnage de la fable qui mourait de faim sur son tas d’or. Il n’en saurait être autrement parce qu’avec la prolongation de la guerre, le nombre des bras valides et des animaux de trait disponibles dans les campagnes diminue, quoi qu’on fasse, et aussi parce que les terres insuffisamment soignées s’étiolent et ont un rendement à l’hectare qui, lui aussi, diminue.

En fait (et sans parler des produits nécessaires à l’industrie et des objets fabriqués, ce qui nous entraînerait trop loin), tandis qu’en 1913 nous importions environ 29 millions de quintaux de céréales, grains et farines, en 1916 nous en importions 47 millions de quintaux. Cela nous coûtait 565 millions en 1913 et 1 550 millions en 1916 (et, soit dit en passant, la comparaison de ces deux groupes de chiffres suffit à montrer combien le prix unitaire des céréales importées a augmenté dans ces trois années). Si au lieu des seules céréales nous considérons tout l’ensemble des produits alimentaires, nous voyons qu’en 1913