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Certes, toutes les mesures nécessaires pour réduire un tel ennemi à l’impuissance devront être maintenues pendant un temps actuellement indéterminable. Mais il serait imprudent d’attendre de ces mesures la transformation de la nation de proie en un membre de la société des nations. Si l’Allemagne, telle que nous la voyons, n’est pas le peuple moralement supérieur qu’elle se vante d’être, elle possède, on ne peut le nier, une vitalité, une puissance interne de subsistance et de développement, que les échecs surexcitent plus qu’elles ne l’abattent. Elle s’est dressée tardivement, par un effort spontané, du fond de l’abîme : elle ne pourrait se transformer que par une conversion intérieure, par une seconde naissance. La théorie de Goethe s’applique à elle :


Genesung [1] hast du nicht gewonnen,
Wenn sie dir nicht aus eigner Seele quillt.


« La guérison ne se produira que si elle jaillit du fond de ion âme ! »

Est-il admissible que l’Allemagne, d’elle-même, par des causes internes, puisse changer ? L’état d’esprit où elle se trouve, et qui est le résultat d’une combinaison de ses tendances primitives avec une éducation systématique, plusieurs fois séculaire, des intelligences, des volontés et des corps, recèle-t-il, en lui-même, quelque principe de dissolution ?

On peut supposer que l’Allemagne, après la guerre, continuera de cheminer dans le sens où elle se précipitait dans ces derniers temps. Des deux momens contraires que l’auteur de Faust distingue dans l’activité humaine, l’effort et la jouissance, Streben et Genuss, il est visible que le second tendait, pour l’Allemagne, à devenir le but, tandis que le premier était relégué au rang de moyen. Or, l’idée du Faust, c’est que la jouissance comme but de la vie en est la ruine. L’activité la plus intense, si elle se prostitue au bien-être, expire dans le relâchement.

Tel était bien, en fait, le danger qui menaçait l’Allemagne avant cette guerre ; et c’est une des raisons qu’invoquait le général von Bernhardi, dans son livre célèbre : Deutschland

  1. Le texte porte : Erquickung, soulagement.