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pas de quoi vivre ; pourtant, ils pourraient voir toute la nourriture du monde sans y toucher, si on ne les y invite pas. Ils se témoignent en toutes choses une courtoisie mutuelle.

Ils m’appellent Sia [1], qui correspond à Mian [2], et aussi man barah [3], qui signifie héros. Je leur ai parlé bien souvent de vous, ma mère, et ils désirent que je vous envoie leurs salutations. La femme m’appelle à rendre un compte rigoureux de mes actions chaque jour. Le soir venu, on me fait rentrer avec les poules ; mes vêtemens sont alors examinés et réparés quand c’est nécessaire. Elle me tourne et retourne entre ses mains. Si je montre de l’impatience, elle me donne une petite tape sur le côté de la tête, et je dis à mon cœur que ce sont vos mains, ma mère.

Maintenant, voici du français, ma mère :

1. Zuur mononfahn. Le salut du matin.

2. Wasi lakafeh. Le café est prêt.

3. Abil towah mononfahn. Levez-vous et allez à la parade.

4. Dormeh beeahn mon fiz, nublieh pahleh Bondihu. Ceci, c’est leur manière de prendre congé pour la nuit en invoquant la bénédiction de leur Dieu.

Ils se servent d’un Tasinh [4] de même forme que les nôtres, mais avec plus de grains. Ils disent leurs prières assis ou en marchant. Ayant vu mon Tasbih, ces deux vieux manifestèrent de la curiosité à l’égard de ma croyance. Certainement, ils sont idolâtres. J’ai vu au bord de la route les images qu’ils adorent. Pourtant, ils ne sont certainement pas des kafirs qui cachent la vérité. Mais la miséricorde d’Allah est sans borne. Ils vous envoient tous deux leurs salutations en ces termes ; Onvoych no zalutaziouni sempresseh ar madam vot mair. C’est leur forme de bénédiction.

Elle a mis au monde trois fils. Deux sont déjà morts dans cette guerre, et du troisième elle n’a aucune nouvelle depuis le printemps. Il reste dans la maison le fils de son fils aîné. Il a trois ans. Son nom est Pir, qui dans leur langue désigne aussi un saint homme. Il court nu-pieds l’été et ne porte qu’un seul vêtement. Il mange de tout et particulièrement mes dattes. Il a appris à parler dans notre langue et porte un sabre de bois qui a été fait pour lui et un turban de notre couleur. Quand il est fatigué, il se réfugie au milieu de mon lit, malgré la défense

  1. Monsieur.
  2. Titre de respect chez les Mahométans.
  3. Mon brave.
  4. Rosaire.