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digne des traditions glorieuses qu’il incarne, gage certain des triomphes de demain. Ses chefs de section lui donnent un superbe et constant exemple. C’est le lieutenant Jamilloux, un merveilleux entraîneur d’hommes, sérieusement blessé au bras dans l’assaut, demeurant quand même à son poste de danger jusqu’à ce que ses forces le trahissent ; c’est le sous-lieutenant Bonnin, qui pleure de rage quand son capitaine le place en réserve, et qui trouve toujours un bon prétexte, — vague de brume ou de fumée, flanc à protéger, mitrailleuse à aller prendre, — pour dépasser l’objectif fixé et flairer de plus près le péril ; c’est le sous-lieutenant Lemaire, toujours le premier partout, à l’assaut, à la reconnaissance, et qui ne devient le dernier que lorsque celle-ci reçoit l’ordre de rentrer... » La citation des gradés et des zouaves n’est pas moins savoureuse et plaisante. Elle se termine par « leur aïeul à tous, Redonnet, engagé volontaire à cinquante-sept ans et plus jeune de cœur que les plus jeunes, présent fait à la génération de la victoire par la génération élevée voici bientôt un demi-siècle dans le crépuscule de nos malheurs. »

Redonnet, simple soldat, réclame une pause de quelques minutes. Je tiens de lui-même son histoire. Il faut la lui tirer de la bouche. Ce Gascon n’est pas vantard. Les cheveux gris, la barbe grise, les joues creusées, le nez busqué, les traits graves, le teint basané, on le prendrait pour un vieux marchand de tapis, tout à son affaire et ne devant rien à personne, si les yeux vifs, serrés entre de petites rides, ne contenaient plus de songes que l’existence ordinaire n’en peut réaliser. La vie l’a patiné comme le temps les pierres. Il est du pays de Commenge en Haute-Garonne. Dans sa jeunesse, il fut colporteur et roula un peu partout, en Espagne, en Angleterre, au Mexique, transportant en tous lieux avec son ballot l’admiration et l’amour du pays natal. Il le quitte sans cesse et ne parle que de lui. Le mariage le fixe à trente-six ans dans une métairie de choix. Ce nomade se mue aisément en paysan sédentaire, chargé de famille, élevant en paix ses huit enfans. Mais, quand la guerre est déclarée, il veut en être. Fils aîné de veuve, il fut étranger à tout service militaire. Le voilà qui, un jour, annonce sa résolution. On imagine la scène : sa femme est consternée et effarée ; sa mère, vieille personne autoritaire accoutumée au gouvernement, lui déclare sans barguigner qu’il