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les creux qui peuvent servir de cheminemens aux Français, et il protège les ravins qui, de ses flancs, coulent vers la Meuse ou vers le Bazil. Tant que Souville ne sera pas pris, Verdun est protégé. Tant que Douaumont ne sera pas repris, Verdun continuera d’être menacé et la bataille de Verdun ne sera pas gagnée. Tous les combattans de Verdun ont subi sa hantise. Mais lui-même, n’est-il pas hanté ? Des prisonniers ont raconté que l’un de ses couloirs voûtés sert de cimetière à tout un bataillon. Un coup heureux de notre artillerie, avant notre assaut du mois de mai, a incendié un dépôt de munitions : la garnison presque entière aurait péri, et l’on aurait poussé pêle-mêle les cadavres calcinés et recouverts de chaux dans une cave qu’on aurait murée. Cependant les régimens de notre 5e division qui sont entrés le 22 mai n’ont pu vérifier la chose : eux-mêmes, après une lutte sanglante, débordés par les entours du fort, ont dû abandonner leur brève conquête. Douaumont porte malheur. Pareil au Drachenfels qui dresse au-dessus du Rhin sa tour ruinée où, jadis, Siegfried tua le dragon, pareil au rocher de la Lurlei où la sirène, procédant par avance aux perfides rigueurs de la guerre sous-marine, attirait traîtreusement les bateliers qui abandonnaient au courant leurs bateaux sans direction, il est déjà tout enveloppé des terreurs rhénanes. Sa chute, le soir du 25 février, tient du sortilège. Comme les brumes de l’automne paraissent le reculer et l’agrandir, les combats sans nombre dont il fut le témoin lui composent une atmosphère d’épouvante et de danger qui le rend plus redoutable, plus inaccessible.

Comment cette légende de Douaumont, qui risquait de rendre plus troublantes et plus aléatoires les tentatives faites pour le délivrer, est-elle devenue le culte de Douaumont ? Quand il eut déridé l’opération qui devait restituer à Verdun la ceinture de ses forts et de ses collines, le commandement choisit les troupes d’assaut. Chacune fut spécialement préparée à son rôle. Douaumont fut donné au régiment colonial du Maroc qui avait reçu la fourragère pour Dixmude et Fleury. Et ce phénomène étrange fut constaté : loin de servir d’épouvantail, Douaumont devenait le lieu d’élection réservé en récompense aux plus braves. Puisqu’on leur avait donné Douaumont, il n’y avait plus qu’à y aller. Avant de partir, ils étaient sûrs d’y parvenir et d’y rester. De Fleury nivelé, ils l’avaient vu, ils le connaissaient.