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Ils le connaissaient pour sa menace permanente, pour son orgueil et sa puissance ; et voici que, rapprochés de lui par le don qu’ils en avaient reçu, ils en parlaient avec familiarité, presque avec insolence. On le plaisantait, on le foulait même aux pieds.

Car on le prenait chaque jour en effigie. Dans la campagne, près de Stainville, gros bourg proche Saint-Dizier où le régiment colonial du Maroc était au repos, le fort avait été tracé sur le sol avec ses dimensions exactes. Des exercices de régiment apprenaient aux bataillons à établir entre eux les accords nécessaires, aux unités et aux divers groupes de spécialistes à se diriger sans hésitation sur leurs objectifs en prenant des points de repère sur les saillans et sur les distances. Chacun des trois bataillons reçut sa mission spéciale. Au 4e commandant Modat) reviendra la mise en marche, le signal du départ. Tandis qu’une compagnie sénégalaise et une compagnie de Somalis occuperont nos tranchées et procéderont, à la suite des marsouins, au nettoyage des obstacles que ceux-ci dépasseront, le bataillon Modat, sans se laisser distraire de son but, atteindra le premier objectif qui, au delà des premières défenses ennemies, amènera les autres bataillons à distance d’assaut. Puis, le 1er bataillon (commandant Croll) contournera le fort, le dépassera, se portera à 200 mètres environ en avant, et là organisera solidement le terrain. Enfin le 8e bataillon (commandant Nicolaÿ) sera chargé d’attaquer le fort de front, de s’en emparer, de le nettoyer et de le remettre en état de servir.

Il y eut entre les trois bataillons une émulation ardente. Chacun voulait le fort. Chacun invoquait son passé, non pas seulement les affaires de Dixmude et de Fleury, mais d’autres actions, plus lointaines, engagées pour la plus grande France. Le bataillon Croll, par exemple, n’avait-il pas déjà fait au Maroc son apprentissage pour s’emparer des places fortes ? Et quand il s’en empare, il sait les garder. Le 12 juin 1914, il avait participé à la prise de la forteresse berbère de Khenifra par le général Henrys. Khenifra est une des charnières les plus importantes de cette armature de la défense du Maroc, créée et maintenue après la déclaration de guerre par le général Lyautey. Elle fut assaillie, le 23 novembre 1944, avec une violence inouïe, par les tribus descendues de l’Atlas. L’assaut dura trois jours et les assaillans durent se retirer avec de grandes pertes. A cette