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occasion, le commandant Croll et son bataillon furent l’objet de glorieuses citations, et le général Lyautey tint à honneur d’épingler lui-même au fanion du bataillon la première croix de guerre avec palme décernée aux troupes d’occupation du Maroc. La cérémonie eut lieu au cours d’une grande revue passée avant le départ du régiment colonial pour le front de France au mois d’août 1915.

Cependant le bataillon Nicolaÿ a été choisi. C’était son tour, et aucun des trois ne peut être l’objet d’une préférence. Le lieutenant-colonel Régnier qui commande le régiment sait qu’il peut compter sur tous les trois au même titre. Le commandant Nicolaÿ arrive d’Indochine, et ce sera sa première affaire. Débuter par Douaumont n’est pas un sort commun. Il a dû beaucoup intriguer pour quitter la colonie où ses services l’attachaient, s’embarquer et prendre sa part de la grande guerre. D’avance, il flaire sa proie et la gloire. La vie exotique l’a brûlé et vieilli. Il est très grand, très maigre, un peu voûté, un peu blanchi, la moustache tombante ; dans les yeux méditatifs passe cette flamme dorée qu’ont souvent les regards des voyageurs et des rêveurs, lueur restée des soleils ou des mirages entrevus. Il marche comme s’il suivait ses songes, et l’on devine où vont ses songes et que rien ne l’arrêtera. Quand il se redresse, il a l’air d’un mage ou d’un prophète, et ses hommes se sentent saisis de respect. Est-ce l’Orient qui donne aux chefs cette grandeur, ce prestige quasi sacerdotal, et non pas seulement à un Lyautey, à un Gouraud, mais à des commandans de bataillons ou de compagnies ? J’ai déjà vu cet air-là au commandant d’Ivry, fils de ce charmant compositeur, le marquis d’Ivry, qui écrivit la musique des Amans de Vérone, quand il rassemblait au Mourmelon son bataillon marocain. C’était à la fin d’août 1914. Je lui avais porté l’ordre de départ. Je ne devais pas le revoir. On m’a raconté que, miné de fièvre, condamné, ne pouvant plus marcher, mais refusant d’être évacué, il se faisait hisser sur son cheval, et même attacher : ainsi se rendait-il aux premières lignes. On voyait apparaître au pas ce cavalier fantôme, là où nul être vivant ne se montrait de jour. C’était à n’en pas croire ses yeux. Ce mourant entendait choisir sa mort : il fut tué sur son piédestal.

Quand on a vu l’homme, on se rend mieux compte de l’influence qu’il dut exercer sur ses troupes. Le commandant Nicolaÿ