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et reste en surveillance sur le fort pour ne le quitter qu’à l’arrivée du bataillon Nicolaÿ. Elle reprend alors sa marche au delà du fort où elle se raccorde avec les autres compagnies et le 321e

Le bataillon Nicolaÿ avait pris place, le 23 octobre au soir, soit dans l’Abri des Quatre-Cheminées qui est sur la pente de Froideterre descendant au ravin des Vignes, soit dans les boyaux avoisinans. Le 24, à l’heure dite, il se met en route, par le brouillard, sur un terrain glissant. Il se hâte afin de pouvoir établir sa liaison avec le bataillon Croll qui doit le précéder dans la marche sur le fort. Quand il arrive aux parallèles de départ, le bataillon Croll a déjà disparu dans la brume. Le brouillard s’épaissit, on n’y voit pas à vingt mètres. Le sol est crevé de trous plus larges encore et plus profonds que ceux du ravin des Vignes, la terre très lourde colle aux chaussures et ralentit la marche. Il faut donc resserrer le dispositif en largeur comme en profondeur. Trois sections de la première compagnie s’égarent, et il faut les rappeler. Enfin une erreur de boussole, déviée probablement par le voisinage d’un revolver, amène le bataillon dans la direction de Thiaumont. Le chef se rend compte de la fausse direction. Dans quel sens la rectifier ? Il a gagné la tête de la colonne, et il hésite. La boussole s’affole. Où se trouve-t-on exactement ? Quel est, au juste, le retard ? Il connaît la pire angoisse, celle de manquer à sa mission. Seul, son bataillon est préparé et outillé pour attaquer le fort, le nettoyer et l’occuper. S’il n’arrive pas à temps, la bataille tout entière est compromise, l’ennemi peut se ressaisir et se consolider dans l’ouvrage, et ce serait à recommencer. Le commandant Modat, au départ, a traversé une inquiétude analogue. Pour la seconde fois, le régiment rencontre l’obstacle qui conduit à l’échec. Pour la seconde fois, il conjure le mauvais sort. Douaumont a son destin marqué. Le brouillard se déchire comme un rideau, le fort apparait dans une éclaircie. Et tandis que les marsouins fascinés regardent, deux prisonniers boches, amenés à l’arrière, remarquant leur ébahissement, montrent du doigt Douaumont en leur disant : » Capout ! » La marche est aussitôt reprise après redressement.

De plus en plus le brouillard se dissipe. Quelques nuées qui s’étirent comme du coton traînent encore aux flancs de la colline, trompant sur la distance. Douaumont apparaît comme