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une montagne sainte, Douaumont approche, Douaumont est là. Le fort est abordé par la gorge. Quand le bataillon y parvient, quand il comprend ce qui va s’accomplir, pris soudainement d’un frisson religieux qui se communique de l’un à l’autre, il s’arrête. Les notes du commandant Nicolaÿ constatent cet extraordinaire arrêt, unique peut-être dans l’histoire, du conquérant devant sa conquête :

« Arrachant l’un après l’autre leurs pieds de la boue, écrit-il, les marsouins gagnèrent de l’avant pour profiter de leur chance. Nulle canonnade sur leurs lignes, pas de résistance d’infanterie ; le barrage boche intense, mais loin en arrière, dans le ravin des Vignes. Il était près de quinze heures, le détachement Dorey venait d’entrer dans le fort sans coup férir ; il était installé au Sud-Ouest des logemens et tourelles, en belle attitude, ne tirant ni ne recevant aucun coup de fusil. Il ne pouvait être question de prendre d’abord méthodiquement la formation de combat primitivement arrêtée ; il fallait au contraire attaquer au plus tôt avant que l’ennemi fût revenu de son ahurissement.

« Sous le vol bas de l’avion de France aux trois couleurs croisant au-dessus du fort, le bataillon aborda le fossé en lignes de colonnes de section par un, chefs en tête et l’arme à la bretelle, puis il escalada les pentes raides du rempart de gorge. Arrivé au haut de ce rempart, il avait devant lui les ouvertures béantes des casemates du rez-de-chaussée et, en avant, la cour extraordinairement bouleversée. Devant ce chaos qu’était devenu le grand fort, symbole de volonté et de puissance merveilleusement recouvré, les têtes de colonne s’immobilisèrent et regardèrent. Le chef de bataillon, qui s’était arrêté momentanément au fond du fossé pour vérifier le mouvement, rejoignit la tête à cet instant et, tout en rendant hommage à ce que la vision avait de sacré et d’inoubliable, il donna l’ordre d’attaquer les mitrailleuses qui, du fond des casemates, commençaient à entrer en action.

« Fusiliers, grenadiers et lance-flammes eurent tôt fait de réduire cette première résistance sans conviction qui ne nous coûta que quelques hommes. Puis le cavalier fut abordé et chacun, d’une manière générale, se rendit a son objectif qu’il sut retrouver, malgré le changement d’orientation de l’attaque. En cours de route, les résistances rencontrées aux tourelles