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de cadavres à demi calcinés, les masques sont encore attachés sur les visages, vision de cauchemar et d’épouvante. Un magasin à vivres est assez abondamment fourni de conserves : viande, lait, haricots, légumes frais, eau minérale, pain de guerre, sucre, thé, café, etc. Demain, on fera l’inventaire du butin. Les papiers du bureau de la Kommandantur n’ont pas été détruits : demain, on entreprendra leur dépouillement. Dans les couloirs, une dizaine de mitrailleuses sont encore en batterie ; à cause du bombardement, les Allemands avaient pris la précaution de les descendre des tourelles, sans se douter qu’ils se désarmaient. Décidément, ils n’avaient pas imaginé que les Français auraient l’audace de franchir une distance de près de trois kilomètres et d’arriver au fort d’un seul élan.

Et le commandant Nicolaÿ, dans cette visite nocturne, comme un grand prêtre chargé des exorcismes, dissipe les fantômes, chasse les légendes d’outre-Rhin, ouvre les portes à la claire histoire de France. Plus de Drachenfels, plus de Lurlei, plus de maléfices ni de sortilèges, le fort désinfecté va redevenir un des bastions de Verdun.

Toutes les issues des logemens sont gardées à l’intérieur par des sentinelles que fournit la compagnie du génie, les marsouins assurant la garde extérieure. A onze heures du soir, le conquérant envoie son dernier compte rendu : les compagnies continuent à se retrancher. Aucune réaction allemande ne menace directement notre conquête, œuvre commune des trois bataillons du régiment ; du bataillon Modat qui a ouvert la voie en brisant les premières lignes ennemies au prix de pertes sérieuses ; du bataillon Croll qui a passé partie autour du fort et partie sur le fort pour s’établir au delà et interposer ses tranchées entre les fossés de l’ouvrage et les lignes allemandes ; du bataillon Nicolaÿ enfin qui a pris possession de la forteresse.

Ainsi fut conquis le fort de Douaumont dans l’après-midi du 24 octobre. Ainsi fut délivré le premier des deux captifs.


IV. — LENDEMAIN DE VICTOIRE

— Un quart d’eau minérale ? Bien que de marque allemande, elle est agréable et se laisse boire.

C’est le commandant Nicolaÿ, nommé commandant du fort,