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d’une vieille race, très fière, dont la force et la rudesse ne vont jamais sans quelque grâce.

L’orchestre est composé de violons et de guitares, de flûtes et de lyres. Pour être sincère, au risque de blasphémer, j’avouerai que la lyre ne peut pas lutter contre les sonorités des autres instrumens. Elle n’a pour elle que le charme de son nom et la beauté de son dessin classique. J’ai ressenti un plaisir enfantin à toucher cette jolie chose dont on a fait un sublime symbole, cette petite lyre à trois cordes, doucement renflée et bombée, ornée d’un laurier naïf sculpté dans le bois blond, sur la rondeur de la coquille.

La musique s’élève tout à coup. C’est un air entraînant, trépidant et monotone. Ln premier groupe de danseurs s’avance. Ils se tiennent par la main, et le plus hardi, le plus souple, conduit leur chaîne onduleuse et dirige leurs évolutions. Par ses pas et ses gestes, par son chant qu’il répète ou improvise, ce coryphée donne un sens au petit drame mimé qu’est toute danse primitive.

Le lieutenant T… m’explique qu’un autre danseur joue le rôle de la jeune fille amoureuse et coquette. On le reconnaît au mouchoir qu’il tient par un bout. Le coryphée qui représente l’amant tient l’autre bout. C’est une règle, dans ces jeux, que la femme et l’homme ne se touchent jamais directement ; le mouchoir est leur trait d’union. L’amant parade, frappe le sol du pied, bondit et tourne sur lui-même en claquant des mains, tandis que le danseur qui figure l’amante désirée fait des pas légers, mesures, reproduits par les comparses. El les musiciens chantent :


Puisse ton chemin être fleuri
De jasmin et de citronnier !


L’amoureux s’écrie :


Je voudrais, sur ta gorge de cristal,
Placer une montre dorée.


La danse achevée, nous applaudissons les exécutans qui vont se reposer en buvant quelque boisson fraîche aromatisée de mastic. Un autre chœur commence une autre danse qui est, me dit-on, l’antique pyrrhis. Cette fois, plus de mouchoir tendu, plus de jeune fille amoureuse. C’est une danse mâle, un simulacre de guerre. Les bottes frappent le sol, imitant le galop