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fraiche, prise au ruisseau pendant la chaleur du jour, tandis que ce martèlement continu, cet orage sonore, cette plainte qui siffle et bourdonne, ces couleurs barbares, cette énergie farouche, cette joie sans gaité font vibrer nos nerfs presque douloureusement et les excitent comme un alcool terrible...


Tous les malades n’ont pu jouir du spectacle qu’avait préparé pour eux la sollicitude des Ecossaises. Quelques-uns, — en petit nombre, — n’ont même pas eu la ressource de regarder, de loin, assis sur leurs lits. L’aimable doctoresse qui me guide à travers les tentes, permet que je fasse une petite visite à ces malchanceux, en guise de consolation. Nous voilà donc causant avec les uns et les autres. Il faut peu de chose pour distraire un pauvre alité, perclus de souffrance et fiévreux d’ennui. Un mot, une fleur, un visage inconnu, cela suffit à renouveler durant tout un soir la trame monotone de ses pensées.

Parmi les soldats étendus sur les couchettes, je remarque un homme de trente-cinq ans, au visage creusé, au regard doux, à qui sa barbe et son lorgnon donnent une physionomie... oserai-je dire une « physionomie universitaire ? » — C’est cela, pourtant : de la gravité, de la finesse et un peu de componction, la mine du professeur qui n’est pas du tout un cuistre, mais qui ne connaît guère du monde que sa classe et ses livres. Figure très sympathique et qui parait dépaysée ici, dans cet hôpital militaire, auprès de ces figures de soldats qu’on devine être des travailleurs manuels, des paysans.

Ce malade est immobilisé par des rhumatismes et je vois bien qu’il s’ennuie un peu. Je m’arrête un instant près de son lit et nous échangeons quelques paroles. Il me raconte qu’il a fait toute la campagne, qu’il est fatigué, souffrant, mais très heureux des bons soins qu’il reçoit. Il regrette seulement de ne pas savoir l’anglais. En fait de langue étrangère, il ne connaît que le latin !... A son tour, il m’interroge. Il me parle de Paris qu’il habite, en temps de paix, et je sens, sous ses questions, l’espèce de tendresse que les vrais Parisiens ont pour leur ville. Alors, dans mon désir de le distraire et de l’égayer, je m’assieds sur une chaise, au pied du lit, mon ombrelle en travers des genoux ; et je me mets à raconter Paris, toute la vie de Paris depuis le 2 août 1914, l’aspect des rues.