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les modifications des mœurs, l’extinction du gaz, la réouverture des théâtres, le dernier raid de zeppelins, et l’avènement de la femme, devenue la souveraine des tramways et du Métropolitain. Le malade sourit. Évidemment, ces petites images de Paris l’amusent sans lui donner plus de regret qu’il n’en faut. Il est philosophe. Les traits de mœurs l’intéressent. Il a presque oublié ses rhumatismes. Et moi, qui sais, par expérience, que, pour un Parisien, — fùt-il un grave professeur, — le spectacle de la rue est incomplet sans gracieuses silhouettes féminines, je ne veux pas laisser ignorer à celui-là un événement qui a son importance : la mode a changé.

— Vous ne reconnaîtriez plus les Parisiennes. En 1914, elles ressemblaient à des parapluies. Maintenant, elles ressemblent à des sonnettes.

— Vraiment ? C’est curieux…

Je vois que mon interlocuteur considère d’un air étonné, plus perplexe qu’admiratif, mon ample jupe de taffetas noir qui est tout à fait « sonnette. »

— Ah ! dit-il avec bonhomie, les dames ont le souci de leur ajustement, même en temps de guerre. Cela ne les empêche pas de montrer de grandes qualités, des vertus… mais… mais ;… c’est curieux ! c’est très curieux !…

Il a un sourire indulgent, le sourire d’un homme qui ne comprend pas très bien, mais qui ne veut pas blâmer ses compatriotes. Assurément, il préfère ses infirmières blanches ou bleues à toutes les « civiles » en robe courte. Et il a bien raison !

Je me lève pour partir ; et comme le malade me remercie de ma visite, je me hasarde à lui demander :

— Qu’est-ce que vous faites, monsieur, en temps de paix ?

Il répond doucement :

— Madame, je suis ecclésiastique.

— Oh ! monsieur l’abbé, excusez-moi !… Si j’avais su !… Et moi qui vous parlais de la mode !

L’abbé déclare qu’il n’est pas le moins du monde scandalisé, que mes intentions étaient excellentes, que je ne pouvais deviner son état… De célèbres prédicateurs n’ont pas dédaigné les sujets profanes, et se sont occupés de la toilette féminine, pour empêcher certains abus… Saint François-de Sales lui-même permettait une honnête coquetterie à ses ouailles…