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C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner du sens nouveau que prennent certains mots, en Orient : laïcité et cléricalisme n’expriment pas exactement les mêmes idées, ne désignent pas les mêmes objets qu’en France. Les consuls les plus libres penseurs assistent aux cérémonies religieuses où leur place, — la première place, — est marquée. Les congréganistes, en revanche, ont une hardiesse de pensée, une franchise de ton et d’allure, qui surprendraient fort certaines dévotes de nos provinces. Ils se font honneur de servir la France, et leur mentalité se rapproche beaucoup de celle des soldats.

J’ai retrouvé ici, sous l’uniforme d’interprète militaire, quelques-uns de ces Assomptionnistes dont j’avais tant ouï parler, à Andrinople, en 1909, et dont j’avais connu le supérieur. Je me rappelle le Père G... higoumène de Mostratli, près de la frontière bulgare, venant au consulat sur un grand cheval noir, très méchant, dont les ruades épouvantaient toute la rue. Ce Père C... moine, prêtre, professeur, laboureur, jardinier, médecin, perdu avec quatre ou cinq religieux parmi des paysans de race bulgare aux trois quarts sauvages, obligé de faire le coup de fusil pour défendre son existence contre les bandits soudoyés par le pope ou par le hodja, je me demandais ce qu’il était devenu depuis sept ans, après toutes les guerres balkaniques et depuis la guerre actuelle. Le hasard m’a fait rencontrer, l’autre jour, à Salonique, son propre remplaçant, le Père E... qui lui avait succédé à Mostratli. Il m’a dit que le Père C... était en sûreté et m’a conté ses propres aventures : comment le monastère, l’école et le dispensaire de Mostratli avaient été brûlés par les Turcs, et comment des fanatiques, le prenant pour le Père C... l’avaient voulu mettre à mort.

— J’ai dû jurer le grand serment que je n’étais pas le Karapappas (le prêtre noir). Cela ne m’eût pas sauvé, pourtant, si un imam n’avait reconnu en moi le médecin qui avait soigné son père... On m’a gardé prisonnier pendant huit mois, dans un village. Rendu à la liberté, je suis devenu soldat, et je mets au service de l’armée mon expérience et ma connaissance du pays dont je parle tous les dialectes.

Les missionnaires français de Salonique n’ont pas éprouvé de pareilles vicissitudes. Ce sont des Lazaristes, établis dans la ville depuis 1783. Fils de saint Vincent de Paul, ils ont porté dans toute la Turquie l’esprit de charité qui crée et vivifie