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France, dans laquelle s’est exprimé avec tant de profondeur l’amour que cette terre inspirait déjà à ses enfans ; » et depuis les poètes qui traduisirent au XIVe et au XVe siècle le sentiment national, une infinie tendresse pour le pays souffrant, une admiration sans bornes pour ses défenseurs ; Christine de Pisan, Italienne d’origine, mais Française de cœur, qui célébra Jeanne d’Arc,


Une fillette de seize ans.
Qui d’eux va France descombrant.
Mais tout ce fait Dieu qui la mène ;


le Champenois Eustache Deschamps qui chanta la mort de Du Guesclin, « la fleur des preux et la gloire de France ; » le Normand Alain Chartier, qui a condensé dans cette phrase de son Quadriloge l’essence même du patriotisme : « Nul labeur ne vous doit être grief pour ce pays sauver qui vous nourrit entre les vivans et entre les morts vous reçoit en sépulture ; » bien d’autres, jusqu’à Michelet qui, pendant les jours de la Révolution de Juillet, « dans une grande lumière aperçut la France. » D’autres aussi, poètes ou prosateurs, ont été d’admirables professeurs d’énergie, depuis Corneille qui s’est plu à dresser l’homme dans ses plus belles attitudes morales et à exalter l’austère beauté du sacrifice, jusqu’à Vauvenargues, épris d’action et de gloire, et qui a formulé un jour cette maxime digne d’être méditée par le peuple qui faiblirait devant le grand devoir : « La guerre n’est pas si onéreuse que la servitude. » L’auteur de la Légende des Siècles et de l’Année Terrible est de leur lignée : il met au service d’idées et de sentimens pareils l’ampleur et la variété de son inspiration, la souplesse comme la magnificence de son verbe. Cette guerre qui ouvre tant de tombes, mais qui fait jaillir tant de sources, vivant, il l’eût chantée ; mort, il ne partage avec aucun de ses contemporains l’honneur d’être encore à l’unisson de nos âmes, et d’en émouvoir la tendresse comme d’en exalter la vaillance. Ainsi il continue de remplir cette fonction de poète national qu’aussi bien il est seul dans l’histoire de notre littérature à avoir proposée au poète comme sa tâche suprême.

On sait quelles étaient ses idées à ce sujet : il les a exposées à plusieurs reprises dans les préfaces de ses recueils lyriques. Tandis que Lamartine « planait sans effort, » se définissait :