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« un amateur en poésie, » écrivait à un ami en 1838 : « Vous savez que ma vie de poète n’a jamais été que le douzième de ma vie réelle. La poésie n’a jamais été pour moi que le plus court des actes de la pensée humaine et celui qui dérobe le moins de temps au travail du jour ; » Victor Hugo maintient entre la poésie et la vie un contact permanent. Les chants du poète « célébreront sans cesse les gloires et les infortunes de son pays [1], » et pour que sa puissance « soit douce aux hommes, il faut que toutes les fibres du cœur humain vibrent sous ses doigts comme les cordes d’une lyre. » Définissant en 1840 [2] ce que devrait être selon lui « le poète complet, » il écrivait, se défendant de penser à lui, mais traçant en fait son propre portrait : « Il serait libre de se pencher sur toutes les misères, de s’agenouiller devant tous les dévouemens... Il s’assimilerait les événemens publics et en ferait entrer la signification dans son œuvre... Il mettrait dans ses poèmes le reflet tantôt éblouissant, tantôt sinistre des événemens contemporains, les panthéons, les tombeaux, les ruines, les souvenirs. » Qu’après cela, pénétré qu’il était de l’importance de sa mission, il en ait parlé tour à tour avec trop de complaisance et d’emphase, — emphase et complaisance qui lui ont été si souvent reprochées, — il n’en reste pas moins qu’une telle conception, soutenue par une richesse de moyens sans égale, le don notamment, disait Leconte de Lisle, de « transmuter la substance de tout en substance poétique, » lui confère une autorité singulière et fait de lui un des maîtres de l’heure.

Au surplus, critiques et poètes, depuis plus d’un demi-siècle, s’accordent à relever dans son œuvre certains traits généraux que la rude épreuve qui vient de nous révéler à nous-mêmes fait saillir en un relief vigoureux. Dès 1835, Sainte-Beuve, cherchant à caractériser par une formule expressive chacun des principaux poètes romantiques, écrivait [3] :


... Hugo, dur partisan,
Comme chez Dante on voit, florentin ou pisan,
Un baron féodal combattre sous l’armure,
Tenait haut sa bannière…

  1. Odes et Ballades. Préface de 1823.
  2. Les Rayons et les Ombres. Préface.
  3. Pensées d’août. Lettres à Villemain.